G.-J.B. Target (1733-1807)

 Tableaux raisonnés d'un corpus de justice de paix

La section du Jardin-des-Plantes (Sans-culottes) de 1791 à la fin de l'an III

Retour à l'accueil

Guide de recherche

Glossaire

Bibliographie

Travaux personnels

Mots clés :  Justice de paix - Révolution française - Paris Jardin-des-Plantes - Statistiques et histoire quantitative

 

© Il vous est possible d'utiliser, en toute liberté, dans vos propres travaux et recherches, tout ou partie de ce document, à une double condition conforme aux usages de publication : l'exactitude des citations reproduites ; la référence de la source produite.

 

Sommaire de l'article (vous pouvez accéder directement à chacune des sections du texte) :

Introduction : quelques mots sur le personnel judiciaire de la section
1ère partie : le nombre total d'actes dressés par le juge de paix
2ème partie : les sentences de justice civile
3ème partie : les actesde justice gracieuse
4ème partie : les  procès-verbaux en bureau de paix et de conciliation
Conclusion : écarts et ressemblances



          Le juge de paix élu par le scrutin qui se termine le 17 janvier 1791, est Jacques–René Mortier ; il appartenait auparavant au personnel juridique du quartier ; ses assesseurs sont Lemoine, Pralon, Eynaud, Ménard, Bizot[1]. Mais Dauptain et Lebas[2] assurent aussi cette fonction à plusieurs reprises. Dès le 19, le juge se met au travail, assisté de Lemoine et Pralon, avec Jean-Baptiste Louis Lessore[3] comme secrétaire greffier. Les séances se succèdent tous les deux ou trois jours ; deux assesseurs sont toujours présents, exceptionnellement, trois. Le nombre d'affaires traitées à chaque fois  se situe entre 1 et 5 exceptionnellement plus, sauf les jours où il s'agit de statuer sur les expulsions de locataires où il peut y en avoir 50 et même plus.
          Les séances se tiennent habituellement dans une des salles de la ci-devant abbaye Saint-Victor, sauf quand il s'agit de "comparutions volontaires" où elles ont  souvent lieu chez le juge et sans assesseurs.
          Quelles sont les affaires traitées par le juge de paix et comment varient-elles au cours du temps?
          Les actes établis se répartissent en 3 catégories : actes de justice civile, de justice gracieuse, du bureau de conciliation.
 

1)      Nombre global d’actes dressés par le juge de paix

          Par année et par type d’actes, le corpus se répartit ainsi :
 

Type d’actes

1791

1792

1793

1794

1795

Total

Justice civile

551

538

418

264

108

1879

Justice gracieuse

97

91

77

101

72

438

Bureau de conciliation

32

24

27

13

7

103

Total

680

653

522

378

187

2420

% sans 1795

30,5%

29,2%

23,4%

16,9%

- 

2233

 

          Le nombre global d’actes décroît au cours des années ; la baisse est très importante en 1793, puis en 1794 ; elle se vérifie pour les trois catégories, à l’exception des actes de justice gracieuse plus nombreux en 1794 et de ceux du bureau de conciliation qui remontent légèrement en 1793.
   

2)      Nombre de sentences en justice civile

         La répartition des actes établis par le juge de paix en justice civile contentieuse peut être précisément chiffrée et donner éventuellement lieu à des remarquees complémentaires selon deux perspectives :
- globalement, dans le temps ;
- en détail, par types d'objets.

2-1- Une répartition globale chronologique

 

 ***

1791

1792

1793

1794

1795

Total

Janvier

11

41

15

6

0

73

Février

56

100

117

58

1

332

Mars

33

34

16

3

7

93

Avril

28

61

19

16

9

133

Mai

69

133

69

21

16

308

Juin

26

41

12

9

4

92

Juillet

46

43

21

15

8

133

Août

96

16

66

66

52

296

Septembre

27

4

6

12

11

60

Octobre

33

32

24

12

 -

101

Novembre

83

24

43

39

 -

189

Décembre

43

9

10

7

 -

69

Total

551

538

418

264

108

1879

% (sans1795)

31,1%

30,4%

23,6%

14,9%

 

1771

 

          L'étude qui suit porte donc sur un corpus total de 1879 actes de justice civile.

          Au cours des années, il est remarquable que, même sans tenir compte de 1795, année incomplète, le nombre total d'actes ne cesse de décroître. La chute est très nette en 1793 et s'accentue en 1794. Sans tenir compte de 1795, donc sur 1772 actes, la baisse des pourcentages par année met encore plus en relief cette diminution : celui de 1794 représente moins de la moitié de ceux de 1791 ou 1792. Ces données sont-elles en relation avec les évènements liés à la Révolution?
          Au cours des mois, ceux où le juge travaille le plus sont février, mai, août, et novembre ; l'étude par objets, montrera que ce sont  là les mois précédents les termes de loyer : les actions pour expulser des locataires sont très nombreuses. Par contre le mois de septembre est toujours particulièrement creux, alors qu'avril et juillet sont beaucoup plus chargés. Il ne s'agit là que de simples constatations qui pourront peut-être s'expliquer par l'étude de la nature des actes.

2-2- Une répartition différenciée selon les objets


          Sont distingués ici les trois types de justice civile[4] : droits réels, droits personnels, droits extra patrimoniaux. Les données numériques ne correspondent pas à celles des actes, en effet, il est fréquent que dans un même acte soient traités plusieurs objets.
 

 2-2-1- Les objets de droits réels

    Le tableauquisuit récapitule le recensement des objets  de droiits réels, tels que définis par B. Starck, effectué danslecorpus :

Répartition des affaires concernant les droits réels recensés en justice civile

Objet

1791

1792

1793

1794

1795

Total

Propriété

3

0

0

1

0

4

Servitude

4

2

2

0

0

8

Succession

2

1

4

1

0

8

Total

9

3

6

2

0

20

 

          Ces objets sont très peu fréquents : les montants en jeu dans les questions de propriété à Paris dépassent souvent les compétences du juge de paix ; les servitudes sont raresse limitant à  quelques problèmes de mitoyenneté ou d'occupation de cour. Quant aux héritages, le juge de paix n'a essentiellement qu'à trancher, ici, quelques questions au sujet de dettes oubliées du défunt.
 
          Comme pour l'ensemble des actes de justice civile, ces nombres, si petits soient ils, décroissent au cours des années.
 

2-2-2. Les objets de droits personnels

         
          Ils forment l'essentiel des objets  traités, en justice civile, par le juge de paix de la section.

Répartition des affaires concernant les droits personnels recensés en justice de paix
Objets des dettes 1791 1792 1793 1794 1795 TOTAL % / TOTAL
Dettes d'argent 80 49 34 11 11 185 10 %
Dettes pour produits agricoles bruts 4 2 1 0 0 7 0,4 %
Dettes pour produits agricoles transformés 49 23 19 9 3 103 5,5 %
Dettes pour animaux 1 3 1 1 0 6 0,3 %
Dettes pour marchandises non alimentaires 68 59 38 36 27 228 12,3 %
Dettes concernant des rapports locatifs 238 284 279 161 60 1022 55,3 %
Dettes concernant des rapports salariaux 120 76 56 39 6 297 16,1 %
Total 560 296 428 257 107 1848 100 %
% par rapport  au total (à l'exclusion de l'année 1795) 32,2 % 28,5 % 24,6 % 14,7 % - 1741 -

         
          La baisse constante du nombre d'objets au cours des années se retrouve comme précédemment, et cela pour tous les objets.

          Dans l'ordre, ce sont, et de loin (plus de 55% de l'ensemble), les conflits liés aux rapports locatifs entre propriétaires et locataires qui dominent[5]. Ils sont si nombreux qu'il existe des formulaires que le greffier n'a plus qu'à compléter au cours de la séance ; ils comportent, outre les noms des demandeurs et défendeurs, l'adresse, l'étage, le nombre de pièces (une seule dans la presque totalité des cas), la situation du logement dans l'immeuble, les dus pour termes échus et à échoir, et la date du congé.
          Les conflits entre employeurs et salariés arrivent ensuite ; il s'agit de salaires ou gages impayés ou d'ouvrages réalisés et non réglés.
          Puis viennent les dus pour marchandises diverses, les dettes en numéraire et pour produits alimentaires. Très naturellement les litiges à propos d'animaux et de produits agricoles sont, à Paris, fort peu nombreux.
 

2-2-3- Les objets de droits extra patrimoniaux

Il s'agit uniquement, pour le juge de paix, de querelles et de rixes, souvent en rapport avec un objet de droit personnel. Dans le temps, ces actes se répartissent ainsi :

Répartition des affaires concernant les droits extra patrimoniaux en justice de paix
Objets 1791 1792 1793 1794 1795 TOTAL
Querelles verbales 23 45 5 12 5 90
Rixes 9 12 3 1 0 25
Querelles suivies de rixes 9 24 3 3 1 40
Querelles et/ou rixes avec autres objets 10 5 1 0 0 16
Total 51 86 12 16 6 171
% par rapport au total (à l'exception de l'année 1795 30,9 % 52,1 % 7,3 % 9,7 % - 165
 

         
          La différence avec les autres objets porte sur le fait que, contrairement à eux,  c'est en 1792 que ces actes sont les plus nombreux et que leur nombre baisse radicalement en 1793.                     L'interprétation de ces données est ici encore difficile : dans quelle mesure les évènements révolutionnaires ont-ils un impact?

    

3)      Les actes de justice gracieuse : étude par objets

          Comme pour la justice civile, le nombre d'objets est supérieur à celui des actes, certains d'entre eux en traitant plusieurs simultanément.

 
Répartition des actes de justice gracieuse recensés en justice de paix
Objets 1791 1792 1793 1794 1795 TOTAL
Tutelles, émancipations , etc. 69 54 40 69 57 289
Inventaires 3 11 18 13 5 50
Homologations administratives diverses 14 27 7 3 22 103
Constats de décès 1 1 0 0 0 2
Actes d'état civil 2 1 2 10 3 18
Expeertises  20 11 11 6 6 54
TOTAL 99 115 78 131 93 516


          Ces actes sont essentiellement tributaires des aléas de la vie familiale et leur rapport avec les évènements révolutionnaires ne peut aucunement être établi. Il faut cependant remarquer qu'en 1794, année très difficile, le total de ces régularisations de toutes sortes est plus important : y a-t-il un rapport avec la situation politique? Veut-on se mettre, dans cette période difficile, parfaitement en règle avec les normes administratives ?
 

4)      Les procès-verbaux en bureau de conciliation

4-1- Les objets de droit réel

            Ils sont très peu nombreux, 12 au total dont 9 (3 en 1792, 4 en 1793 et 2 en 1794) concernent des contestations de succession.
 
 

4-2 - Les objets de droit personnel

Répartition des affaires concernant les droits personnels recensés au bureau de conciliation
Objets des dettes 1791 1792 1793 1794 1795 TOTAL % / TOTAL
Dettes d'argent 11 7 2 4 0 24 25,5 %
Dettes pour produits agricoles bruts 0 0 0 0 0 0 0 %
Dettes pour produits agricoles transformés 1 2 4 0 0 7 7,4 %
Dettes pour animaux 0 0 0 0 0 0 0 %
Dettes pour marchandises non alimentaires 6 5 4 2 3 20 21,3 %
Dettes concernant des rapports locatifs 7 7 10 2 3 29 30,9 %
Dettes concernant des rapports salariaux 8 2 1 2 1 14 14,9 %
Total 33 23 21 10 7 94 100 %
% par rapport  au total (à l'exclusion de l'année 1795) 37,9 % 26,4 % 24,1 % 11,5 % - 87 -
         Dans le temps, le nombre des actes du bureau de conciliation, qui traite des affaires plus importantes pécuniairement que celles de justice civile, décroît tous les ans. Ce sont, comme en dans cette dernière, mais dans une proportion moindre, les questions opposant propriétaires et locataires qui sont les plus nombreuses ; puis viennent les affaires concernantdesdettes en numéraire et des dus pour marchandises non alimentaires ; elles sont plus nombreux que celles qui ont trait aux rapports entre employeurs et employés.

En guise de conclusion provisoire, des écarts et des ressemblances 

         La nature des affaires traitées par ce juge de paix parisien diffère nettement, pour une large partie d'entre elles, de celles des juges de paix ruraux, telles qu'elles ont été étudiées par ailleurs[6] : les affaires de droit réel, celles concernant les produits agricole bruts ou transformés, les animaux, les questions d'héritage - notamment à la suite de ruptures de communautés inexistantes à Paris – y sont beaucoup plus nombreuses ; par contre, c'est l'inverse pour les différends entre employeurs et employés et surtout entre propriétaire et locataires. Il s'agit là d'un reflet, évident il est vrai, des différences de mode de vie entre la capitale et la prvince rurale.
 
          Cette étude du corpus de la section du jardin des Plantes donne un aperçu essentiellement numérique, l'essentiel étant la baisse générale du nombre d'actes au cours des années. Une approche détaillée de chacun des objets reste à mener pour en préciser la nature et peut-être en préciser les raisons.



[1] BURSTIN Haïm, Une Révolution à l'œuvre, le Faubourg Saint-Marcel (1789-1794) p. 252 et 253, Champ Vallon, 2005.

[2] Ils ne sont cités dans l'ouvrage ci-dessus que comme électeurs.

[3] C'est lui qui deviendra juge de paix à partir de 1792.

[4] Voir sur le présent site : Bibliographie générale droit.

[5] Voir sur le présent site : Loyers, logements, locataires ... .

[6] Voir COQUARD Claude et DURAND-COQUARD Claudine, Société rurale et justice de paix, Clermont-Ferrand, 2001.