G.-J.B. Target (1733-1807)

 Des blanchisseuses à Paris en Révolution ?

Autour de la citoyenne Despoix

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Mots clés : Révolution - Justice de paix - Paris - Section du Jardin des Plantes (Sans-Culottes) - Blanchisseuses -  Femmes

 

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Sommaire de l'article (vous pouvez accéder directement à chacune des sections du texte :

 

Introduction : des intervenantes particulières dans le corpus
La femme Despoix, blanchisseuse, en justice de paix
Les affaires en relation avec le métier de blanchisseuse
Les autres affaires
Les blanchisseuses et les autres femmes qualifiées professionnellement
Les blanchisseuses et leurs adversaires
Et les blanchisseurs ?
Quelques mots de premier bilan


 
 
          Dans les minutes de la justice de Paix de la section du Jardin des Plantes entre 1791 et 1795, il existe, en justice contentieuse [1] 1388 interventions de femmes demandeuses ou défenderesses habitant le secteur ; pour 226 d'entre elles, soit 16,3 %, une qualification professionnelle est indiquée.

Parmi les 58 professions différentes exercées par des femmes, les blanchisseuses sont citées 55 fois. Viennent ensuite les marchandes (30 interventions, tous commerces confondus), puis les gagne-denières, les domestiques ou servantes, les couturières, les gardes-malades … qui comparaissent toutes moins de 20 fois. Les 55 interventions de blanchisseuses émanent de 49 femmes différentes, présentes dans le corpus comme demandeuses ou défenderesses, vivant dans cette section.

 


Henri Daumier in Le Charivari, 24 octobre 1846

 

À partir de l'exemple de l'une d'entre elles, plusieurs questions peuvent se poser auxquelles cet essai s'efforce de répondre :

Quelles affaires sont en relation avec le métier que ces femmes exercent ?

Pour quelles autres affaires que celles ayant trait à leur métier interviennent-elles aussi ?

Quelles différences existe-il entre ces blanchisseuses et les autres femmes exerçant un métier indiqué dans le corpus ?

Quels adversaires trouvent-elles devant elles dans cette justice contentieuse ?

Qu'en est-il de leurs confrères masculins dans ce même métier ?

  

La femme Despoix, blanchisseuse, en justice de paix


 Le 15 juillet 1791, Marie Françoise Despoix, blanchisseuse demeurant quai Hors Tournelle [2] comparaît devant le juge de paix en compagnie de la "dame Bellot", une autre blanchisseuse. Elles demandent au "sieur Cornu (…) cent cinq livres pour blanchissage de son linge". En attendant d'être payée, la dame Despoix garde le linge et les effets, et s'oppose à ce que le linge que la dame Bellot a entre les mains soit livré à son propriétaire. Celui-ci reconnaît devoir 85 livres aux blanchisseuses, "ayant déjà payé vingt livres à la dame Bellot". Le juge tranche : Cornu doit payer 10 livres de suite et le reste par 1/9 tous les mois, moyennant quoi, tout le linge doit lui être remis de suite. Le 20 août, après que les comptes ont été faits, Cornu reconnaît devoir au total 102 livres qu'il déposera chez le juge par portions. Le 22 juin 1793, suite à la présentation du livre de comptes de la dame Despoix, elle reçoit les 92 livres 18 sols déposés par Cornu chez le juge.

Entre temps, dès le 22 juillet 1791, la même dame Despoix, alors mariée au "sieur Bellot, compagnon maçon" – elle est donc alors la belle sœur de l'autre blanchisseuse avec laquelle elle travaille, et habite maintenant quai Saint-Bernard, chez le sieur Dupin marchand de bois – est cette fois défenderesse : Marie-Jeanne Lamouche, "fille mineure âgée de 20 ans, cuisinière" est demandeuse : la dame Bellot refuse de lui rendre un fichu de mousseline unie qui lui a été remis par erreur par la dame Voizard, chez qui la demanderesse habitait alors, et dont la dame Bellot (ici Despoix, de son nom de jeune fille) était la blanchisseuse, fichu qui appartenait en fait, dit-elle à une dame Vichot qui le réclame lui ou son prix, soit 18 livres. La demoiselle Lamouche a offert à la dame Bellot, pour le prix du fichu qu'elle réclame et que la blanchisseuse dit lui avoir été volé (? Il n'est plus question de ce vol par la suite), 8 livres et pour l'excédent du prix, de lui donner un autre fichu de mousseline unie, qui est resté entre les mains de la dame Bellot, et qu'elle a payé 4 livres. Le juge déclare que cette offre est valable et que la dame Bellot doit accepter. Les dépens sont compensés entre les parties.

Le 11 mai 1792, le climat s'est dégradé entre les belles-sœurs : la dame Despoix comparaît devant le juge de paix pour avoir insulté Jean-Baptiste Rafier, gagne denier ; elle reconnaît avoir dit "qu'il était malhonnête de s'être immiscé dans une querelle entre elle et la femme Bellot, sa belle sœur, et d'avoir pris le parti de la femme Bellot, mais qu'elle ne reconnaissait pas moins le Sieur Rafier comme homme d'honneur et de probité". Le juge se borne à prononcer une interdiction de recommencer.

Le même jour, la belle sœur, toujours blanchisseuse, réclame à la dame Despoix "une paire de bas bleu et marine, un bonnet rond, et sept petits livres servant à la dame Bellot à inscrire le linge de ses pratiques" que la défenderesse retient sans raison, ou de lui verser 50 livres. La dame Despoix offre de les lui remettre, mais affirme que la demandeuse doit lui payer "1° sept livres dix sols, reçus par la demandeuse des pratiques de la défenderesse ; 2° sept livres dix sols pour restant d'un billet". La demandeuse ne reconnaît au total que 7 livres 10 sols, qu'elle doit payer moyennant quoi les objets doivent lui être remis.

C'est le 24 avril 1793 que la dame Despoix comparaît pour la dernière fois en justice de paix dans le corpus étudié – le nom de son mari n'est pas cette fois mentionné ; elle est à nouveau défenderesse. Françoise Grillard, femme de Jean Merry, boulanger, lui réclame "cent livres restant de plus grande somme pour fourniture de pain". La dame Despoix reconnaît la dette, mais elle demande un délai de paiement : elle remboursera 20 sols par semaine à compter du 2 mai. Cette fois, elle doit en outre payer les dépens qui se montent à 55 sols.

Marie Françoise Despoix comparaît donc 5 fois devant le juge de paix en 3 ans. Au début, elle semble travailler non pas seule, mais avec une autre blanchisseuse (qui sera bientôt sa belle-sœur), ce qui va leur poser des problèmes. Elle a parfois du mal à se faire payer son travail, mais elle utilise un moyen de pression assez simple : elle "retient" le linge blanchi. Par ailleurs, il arrive que ce linge soit mélangé avec celui d'autres blanchisseuses qui travaillent côte à côte aux bateaux-lavoirs, et/ou entre ses différents clients. Pourtant ses  "livres de comptes" sont tenus et présentés si besoin est. Sa situation pécuniaire paraît être un souci important et constant : en effet, outre la difficulté à se faire payer ses dus, Marie Françoise Despoix ne parvient pas, en 1793, à payer son pain, et demande un délai pour rembourser sa dette qui est importante.

 
Ces difficultés apparaissent-elles aussi chez les autres blanchisseuses et avec quelle occurrence?

Sur les 57 actes de justice contentieuse les 49 blanchisseuses différentes sont demandeuses (14 fois), défenderesses (42 fois), l'une d'entre elles étant citée comme témoin-expert(e). À une exception près, toutes sont citées en justice civile ; le cas de celle qui comparaît au Bureau de paix et de conciliation (comme défenderesse) est traité avec ceux de la justice civile.

Sur les 57 affaires, 39 (soit plus de 68%) sont en rapport direct avec la profession et 18 ne le sont pas.

 

Les affaires en relation avec le métier de blanchisseuse

 
           Dans l'ensemble des 39 affaires, au total 66 objets différents, souvent en relation les uns avec les autres, sont traités, comme c'est le cas pour Marie Françoise Despoix le 15 juillet 1791 : elle intervient pour un dû de blanchissage, mais il est aussi question du linge retenu.

 

Les dus pour blanchiment et linge retenu

Les deux affaires sont presque toujours liées comme chez Marie Françoise Despoix. Par exemple, la femme Gogue comparaît comme défenderesse le 4 avril 1791 : la demoiselle Jubi, "fille domestique" lui réclame "un jupon peigné d'indienne, deux chemises de toile commune, et deux mouchoirs de mousseline festonnée donnés à blanchir". La blanchisseuse fait valoir que des blanchissages précédents n'ont pas été réglés. Au cours de l'audience, les dettes sont payées et le linge rendu. Autre exemple, en  mai 1793, Anne Renaud, épouse Elva, refuse de rendre à  la veuve Cauvri le linge qu'elle a blanchi : en effet elle dit que la veuve lui doit 40 livres pour d'anciens blanchissages ; celle-ci demande un délai pour payer et devra verser 15 sols par semaine.

Il arrive aussi que le linge soit retenu sans qu'il y ait dettes. Ainsi, le 23 décembre 1792, Joseph Brenant et son épouse réclament les effets confiés à  la dame Lecomte, blanchisseuse. Mais elle a engagé ceux-ci au Mont-de-piété dont elle présente la reconnaissance : elle a reçu 49 livres pour l'ensemble ; elle offre de les rembourser, mais demande un délai : elle devra payer 8 livres par mois.

L'autre cas existe aussi : la blanchisseuse réclame le prix de son travail sans pour autant retenir le linge.  Le 3 août 1792, la femme Vasseran réclame à la dame Caron et à son mari, voiturier par terre, la somme de 36 livres 10 sols pour le blanchissage fait pour eux au courant de la présente année.

Au total, sur les 66 objets différents dénombrés dans les actes où une blanchisseuse intervient dans le cadre de son métier, 20 concernent du linge retenu, 16 des dus pour blanchissage, 12 parmi ceux-là traitant des deux objets.

 

Linge perdu ou échangé

Tout comme Madame Despoix à qui a été remis par erreur un foulard qu'elle prétend par ailleurs avoir perdu, les échanges, pertes ou vol de linge sont fréquents. Le 27 janvier 1793,  la veuve Ballet comparaît avec son beau-frère au bureau de conciliation : il lui adonné deux chemises à blanchir et il dit qu'elle lui en a rendu d'autres, de moindre qualité. Le 4 juillet 1794 (16 messidor an 2), Marie Michelle Loriau réclame à Antoinette Aldiger 8 livres 19 sols pour blanchissage ; mais celle-ci affirme qu'un drap a été échangé et qu'une chemise, valant 6 livres, a été perdue. La blanchisseuse doit la rembourser. Le 24 avril 1795 (6 floréal an 3), c'est Anne-Thérèse Petit qui réclame à Denise Fligery  une chemise qui faisait partie du linge donné à laver et qui a été prétendument perdue. Faute de preuve, le juge déboute la demandeuse.

Pertes ou échanges sont traités 17 fois par le juge de paix.

Il arrive aussi à deux reprises que du linge soit dit volé : le 16 avril 1792, les dames Caquet et Lair, blanchisseuses ont été accusées d'avoir volé des chemises et des bas. Elles portent plainte pour injures. Le 26 thermidor an 3, c'est la citoyenne Louis qui affirme que "malgré les soins de l'une et de l'autre (sa fille de journée) elle avait été volée d'une partie du linge  de ses pratiques."

 Pertes, échanges ou vols s'expliquent facilement par le fait que les blanchisseuses travaillaient à plusieurs sur les bateaux lavoirs [3].

 

Conflits autour du travail fait en commun

Tout comme la citoyenne Despoix travaille en juillet 1791 avec la citoyenne Bellot qui va devenir sa belle sœur, le travail réunissant plusieurs femmes existe dans d'autres cas.

Il peut arriver que le blanchissage soit en quelque sorte sous-traité : le 19 septembre 1791, la dame Perrot, par ailleurs loueuse de chambres garnies, a lavé du linge pour la dame Rocquet, blanchisseuse, qui ne l'a pas payée. Elle retient donc une partie du linge et n'accepte de le rendre que contre le paiement des 39 livres 14 sols dus ; la défenderesse ne pouvant payer que 12 livres propose de rembourser  le reste par quart de 8 jours en 8 jours, et le linge lui est remis. De même, le 9 mars 1792, Madeleine Rougeot, blanchisseuse, a fait des journées pour Louise Cousin, maîtresse blanchisseuse. Elle n'a pas été payée intégralement : il lui reste dû 6 livres 10 sols, plus du linge, appartenant à la demandeuse ou à son frère, que Louise Cousin retient chez elle. Le juge réduit la somme à 2 livres 55 sols, mais les effets doivent être rendus. Le 26 thermidor an 3, la citoyenne Louis, dans l'acte déjà cité ci-dessus  dit que sa "fille de journée (…) elle-même blanchissait son linge avec celui de ses pratiques".

Au total, ce type de conflit est présent à sept reprises. Ces plaintes sont accompagnées quatre fois d'une plainte pour injures, comme c'est le cas dans l'affaire Despoix-Bellot dont il a été question.

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Les autres affaires

Sur les 18 objets de citation en justice de paix qui ne sont pas directement en rapport avec le métier de blanchisseuse, 11 sont liés à l'occupation de leur logement, 6 à des dettes d'argent, et une à des injures : ce dernier cas est d'ailleurs le seul dans cette catégorie où une blanchisseuse est demandeuse.

 

Les congés locatifs

La dame veuve Gogue, blanchisseuse est sous locataire du sieur Poncel aubergiste, principal locataire du Chariot d'Or, rue St Victor. Elle occupe une chambre située au 5ème étage sur le devant. Le 18 novembre 1791 son congé lui est signifié devant le juge de paix. Outre le terme courant de 16 livres 10 sols, elle devra rembourser 24 livres 15 sols de loyers en retard, sans compter les dépens qui s'élèvent à 4 livres. Le 5 mai 1794 ( 16 floréal, an 2), c'est Pigneau, boursier, principal locataire au 71 rue (St)-Victor qui lui donne son congé : elle lui doit 32 livres pour des termes échus et 27 livres 10 sols pour le terme à échoir : son congé prendra effet le 12 Messidor (30 juin) ; les dépens sont les mêmes que précédemment. Elle occupait cette fois une chambre au 1er étage sur le devant.

Parmi les 11 femmes différentes concernées, 6 ont des loyers en retard : elles doivent entre 7 livres 10 sols et 16 livres.

Mais alors que ces congés sont très nombreux dans l'ensemble du corpus étudié, c'est surtout en 1791 que les blanchisseuses sont concernées : 7 cette année là, 1 en 1792, 2 en 1793, 1 en 1794, aucune en 1795. Leur situation pécuniaire s'améliore-t-elle au cours de la période, ou bien ayant peur de devoir déménager paient-elles en priorité leur loyer?

 

Les autres dettes

Comme pour les précédentes, ces actions ont toutes lieu entre 1791 et 1793, et les 6 blanchisseuses impliquées sont toutes défenderesses. En 1791, c'est la veuve Alliot qui vit avec un marchand forain quincaillier. Ils doivent 28 livres pour une reconnaissance de dettes ; ils ne comparaissent pas. En 1792 il y a 3 affaires de ce type : le 8 juin la veuve Bourguignon doit "trente livres, restant de plus grande somme pour fournitures et habillement qu'il lui a fait" ; elle ne comparaît pas. Le 20 juillet, la dame Henri, blanchisseuse mariée à un voiturier, doit 10 livres au chirurgien qui l'a "visitée et traitée dans une maladie qu'elle a eu courant du mois de mai". Outre les 10 livres, elle doit payer 4 livres de dépens. Le 1er septembre, le sieur et la dame Marinier, le mari étant journalier, se présentent volontairement devant le juge avec la dame Royat, blanchisseuse "pour raison d'une somme  de six livres restant à payer d'un mois de garde et de nourriture de l'enfant de la dame Royat et remise du dit enfant". Le juge tranche ainsi l'affaire : "Et la remise faite à l'instant (…) de son enfant, condamnons la dame Royat à payer (…) la somme de six livres (…) Et ayant égard à sa demande à fin de terme et délai pour payer" elle est condamnée à payer "une livre dix sols aujourd'hui et le surplus à raison de trente sols par semaine jusqu'à parfait payement". En 1793, outre la Dame Despoix, c'est, le 8 août, la dame Camus et son époux, tous deux blanchisseurs – elle seule comparaît –  qui doivent à un "marchand mercier et linge (…) quatre-vingt livres dix-huit sols restant de plus forte somme pour marchandises de leur état dans le courant des mois de novembre et de décembre dernier". La défenderesse demande délai : elle devra payer 30 sols par semaine.

Certaines blanchisseuses ont donc des dettes qu'elles peinent à rembourser ; inversement aucune ne semble avoir prêté de l'argent qu'elle ne peut récupérer.

 

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Les blanchisseuses et les autres femmes qualifiées professionnellement

 

Pour préciser la situation socio professionnelle des blanchisseuses parmi celle des femmes qui exercent une profession consignée par le greffier, le calcul a été fait suivant les différents objets de leurs interventions, pour les demandes et pour les défenses : ces objets sont parfois multiples dans une même action.


***** Demandeuses Défenderesses Total : demandeuses + défenderesses
Objets Blanch. Autres Total % Blanch./Tot. Blanch. Autres Total % Blanch./Tot. Blanch. Autres Total % Blanch./Tot.
Dettes d'argent 1 6 7 16,66 % 4 17 21 23,5 % 5 23 28 17,9 %
Nourriture 1 7 8 12,5 % 1 5 6 16,7 % 2 12 14 14,3 %
Marchandises 8 10 18 44,4 % 23 17 40 57,5 % 31 27 58 53,4 %
Logement 0 17 17 0 % 12 46 58 20,7 % 12 63 75 16 %
Travail 7 20 27 9,6 % 8 13 21 38 % 15 33 48 31,2 %
Ensemble 17 60 77 22,1 % 48 98 146 32,9 % 65 158 223 41,1 %

Dans l'ensemble, les blanchisseuses sont très présentes puisque les objets de leurs interventions, tous rôles et tous objets confondus représentent plus de 40% de celle des femmes qualifiées, et elles sont plus souvent défenderesses que demanderesses (33% contre 21%), ce qui confirme d'emblée l'hypothèse émise ci-dessus concernant les difficultés qu'elles éprouvent dans la vie quotidienne. Les mêmes calculs faits sur le nombre des interventions, sans tenir compte des objets multiples, donne le résultat global suivant: 24,3% émanent de blanchisseuses, qui présentent 18,7% des demandes et 27,2% des défenses. Ici encore les difficultés des femmes exerçant cette profession sont mises en évidence bien que de façon moins accentuée.

Tant pour les demandes que pour les défenses, ce sont les questions relatives aux marchandises qui sont les plus nombreuses ce qui est normal étant donné que sont regroupées sous cette appellation toutes les questions relatives au linge. Puis viennent les problèmes liés au travail : les blanchisseuses n'arrivent pas à se faire payer, ou bien elles ont échangé ou perdu du linge. Les dettes en argent viennent ensuite. Elles ont aussi du mal à payer leur loyer et se font fréquemment expulsées. Dans le corpus aucune d'entre elles n'est propriétaire ou principale locataire : toutes celles qui interviennent au sujet du logement sont priées "de quitter les lieux".

 

De l'ensemble de cette étude se dégage le fait que les blanchisseuses ne sont pas des travailleuses aisées et qu'elles doivent souvent se pourvoir en justice, que ce soit pour réclamer leurs droits ou pour se défendre.

 

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Les blanchisseuses et leurs adversaires 

Les professions des adversaires des blanchisseuses sont, dans un certain nombre de minutes, indiquées par le greffier, qu'ils soient demandeurs ou défendeurs.

En ce qui concerne la profession à proprement parler, les demandeurs exercent dans des domaines très variés : un gendarme, un bourgeois, une loueuse de chambre, trois commerçants, une blanchisseuse, une domestique, un charretier, une cuisinière, un gagne-denier. Les défendeurs recensés sont un maître de pension,  deux marchands, une blanchisseuse, une cuisinière et un voiturier. En dehors du bourgeois, le sieur Hallayqui intervient 21 fois, toujours comme demandeur (la plupart du temps il s'agit de "faire vider les lieux" à des locataires, ce qui n'est pas le cas pour Mme Maillard la blanchisseuse à qui il réclame un drap qu'il lui a donné à laver) et une marchande mercière qui comparaît 5 fois (dont 4 comme défenderesse), les autres ne sont cités qu'une seule fois, (voire 2 dans l'ensemble de la justice civile).

Leur clientèle habituelle semble donc être celle des petites gens du peuple, les riches faisant blanchir leur linge à la maison ou même à l'étranger [4], les pauvres se débrouillant tout seuls.

Pour les affaires extérieures au métier, sont demandeurs contre des blanchisseuses : un bourgeois, un négociant, un chirurgien, un maître maçon, neuf artisans et commerçants, un journalier ; le seul défendeur  dont la profession est qualifié est "fondeur à l'Hôtel des monnaies". Parmi les demandeurs beaucoup interviennent plusieurs fois dans l'ensemble du corpus, ce sont essentiellement des loueurs de chambre qui exercent une autre profession. C'est le cas, par exemple de  Pigneau, bourrelier : il présente 11 demandes ; Martin, maître maçon : 10 ; Robinet, épicier : 8 ; Dory, marchand de vin : 7 et bien sûr le sieur Hallay dont il a déjà été parlé

 

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Et les blanchisseurs?

 

La profession n'est pas essentiellement féminine : 12 blanchisseurs habitant la section interviennent en justice civile, mais 2 seulement ont des problèmes liés à leur profession et comparaissent comme défendeurs. Dans un cas, le 7 mars 1793, il s'agit d'un homme et de sa femme – mais c'est lui qui est qualifié – : ils retiennent des objets qui leur ont été remis "en nantissement du prix d'un blanchissage" ; dans l'autre cas, le 28 février 1793, il est demandé au blanchisseur de "rendre deux bonnets garnis de dentelle très fine qui ont été remis à la femme du défendeur il y a environ deux mois pour les blanchir". Il dit qu'ils ont été rendus par la repasseuse à une tierce personne.

Pour les affaires qui paraissent étrangères à la profession, deux défendeurs sur les cinq qui sont appelés à comparaître doivent quitter les lieux ; pour deux autres, il s'agit d'une contestation assez obscure de reconnaissance de dettes ; et le dernier est impliqué dans une querelle avec calomnies et diffamation. Cinq demandeurs apparaissent aussi contre des blanchisseurs : trois d'entre eux, propriétaires ou principaux locataires, donnent des congés ; un autre réclame à son propriétaire des dommages et intérêts pour des troubles causés par des réparations dans la maison ; le dernier a été injurié.

  Quelques mots de premier bilan

Les nombreuses blanchisseuses qui vivent dans la section du Jardin des plantes au début de la Révolution ont souvent à faire au juge de paix ; que ce soit dans leur travail à proprement parler [5] - difficultés à être payées, conditions de travail qui favorisent les erreurs de linge, organisation parfois difficile du travail en commun -, où dans leur vie quotidienne – changements de logements et dettes pour des dépenses ordinaires –, elles semblent rencontrer de nombreuses difficultés. Elles font partie de ce petit peuple de Paris des quartiers populaires qui malgré les évènements importants qui se déroulent près d'elles et auxquels il n'est jamais fait allusion à leur propos dans le corpus étudié, continuent à travailler dans la peine et la précarité pour assurer leur survie et celle de leur famille. Comparées aux autres femmes exerçant une profession, elles semblent, ici, bien peu favorisées.

 



NOTES

 
 [1] 
Les problèmes posés par la justice gracieuse (état civil, émancipations, etc.) sont d'une toute autre nature et doivent donner lieu à un autre traitement.

[2] Actuellement, quai de la Tournelle.

[3] Franklin Alfred, Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés dans Paris depuis le XIII ème siècle, Paris, 2004,  p. 428 : 

"On appelle à Paris bateaux de selles de grands bateaux, plats et couverts, qui ont le long de chaque bord des bancs ou espèces de tables, sur lesquels les blanchisseuses lavent leur linge moyennant un certain droit qu'elles payent aux propriétaires des bateaux". 

[4] Ibid., p. 85 et 86 :
"On sait que dès le seizième siècle, des raffinés faisaient blanchir leur linge à l'étranger, en Hollande surtout, luxueuse coutume observée encore vers la fin du dix-huitième siècle…Il y eut mieux encore : les négociants de Bordeaux envoyaient leur linge à Saint-Domingue (…) La reine (Marie-Antoinette) en entendit parler, et on lui dit qu'une jeune dame, Madame la Comtesse de *** était entièrement habillée de ce beau linge. Elle désira la voir en particulier et fut frappée de la beauté du linge".
[5] Burstin Haïm, Une Révolution à l'œuvre. Le faubourg Saint-Marcel (1789-1794), Champ Vallon, Seyssel, 2005, p. 673 :
"Quelques voix discordantes se faisaient bien entendre dans les milieux populaires, en particulier dans celui des blanchisseuses du faubourg qui à l'occasion de la Toussaint, auraient dit qu'on voulait les faire passer par-dessus la croix, (que) c'était une infamie, (qu') elles ne le feraient pas."




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