G.-J.B.
Target (1733-1807) |
Essai de géographie sociologique
La rue Saint-Victor dans les minutes de la justice de paix (1791 - fin de l'an III)
|
Mots clés : Justice de paix - Révolution française - Paris - Section du Jardin-des-Plantes Professions - Rentiers - |
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Professionnels et professions rencontrés dans une rue de la section du Jardin-des-Plantes[1] : la rue Saint-Victor Les
minutes de la justice de paix de la section du Jardin-des-Plantes, conservées
aux Archives de Paris[2]
mettent en scène de nombreux individus habitant ce quartier de Paris : ils sont
présents soit comme demandeurs ou défendeurs dans des conflits interpersonnels,
soit comme prévenus d'actes délictueux, soit en tant qu'acteurs dans des
procédures liées à des authentifications administratives (émancipations,
tutelles, curatelles, actes d'état-civil, etc.). Le plan[3] qui suit permet de localiser les différents espaces (rues, places, quais, etc.) de cette 47ème section de Paris, telle qu'elle est définie dans le cadre de la nouvelle organisation administrative à partir de 1790 (le tracé rouge correspond aux limites de la section). Le tableau suivant permet de présenter l'ensemble de la population de la section par genre :
En
l'absence de tout recensement effectué par district pour la période considérée,
sur la base d'une population totale des districts du faubourg Saint-Marcel
estimée par Haïm Burstin à "65 000
habitants environ"[4],
et en tenant compte du fait qu'ont été exclus du dépouillement aussi bien les
enfants mineurs que les personnes déclarées décédées, ce chiffre de 3991
individus équivaut à plus du quart de la population réelle du district du
Jardin-des-Plantes et représente donc un panel archivistique exceptionnel. Comme
l'indique le tableau ci-dessus, certaines voies sont particulièrement peuplées,
à l'instar du principal axe de circulation que représente à cette époque la rue
Saint-Victor[5], entre
la place Maubert et le carrefour de la Pitié, (plus de 900 habitants recensés)
ou la rue Mouffetard (près de 400 habitants). D'autres le sont très peu, comme
la rue de l'Épée-de-Bois (5) la rue Française (8) ou son prolongement, la rue
du Puits-de-l'Ermite (13), bordées toutes trois d'établissements religieux dont
les occupants fréquentent peu les salles d'audience du juge de paix. C'est
aux activités présentes dans la rue Saint-Victor, grâce au prisme des minutes
de la justice de paix, que cette étude est consacrée. Deux axes d'analyse
seront parcourus : - les activités professionnelles des hommes ; - les activités professionnelles des femmes.
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Répartition des habitants de la rue Saint-Victor selon leur "qualification" |
|||
|
Hommes |
Femmes |
Total |
Qualification professionnelle précisée |
459 |
49 |
508 |
Autre qualification (non professionnelle) |
22 |
3 |
25 |
Sans aucune qualification précisée |
133 |
250 |
383 |
Total |
614 |
302 |
916 |
Sur
l'ensemble de la population ainsi recensée dans la rue Saint-Victor, plus de 55
% des individus exercent un métier précisément indiqué dans le texte. Il n'est
pas possible d'affirmer que tous les autres comparants sont sans emploi, mais,
en général, cette indication "professionnelle" fait partie, dans ce
type d'écrit, des normes identitaires obligatoires.
Les
proportions sont très différentes selon qu'il s'agit des hommes ou des femmes :
près des trois quarts des hommes (74,76 %) exercent une profession nettement
définie, alors qu'à peine un sixième des femmes (16,89 %) sont dans ce cas. Distinguer
ici la part des "migrants" dans ce monde du travail n'est pas chose
possible, les indications fournies par le greffier ne portant jamais sur
l'origine provinciale ou non de l'individu, même si, comme le souligne Daniel
Roche[8],
il est probable que nombreux soient ceux qui se sont récemment installés à
Paris parmi les travailleurs les moins spécialisés, comme les ouvriers du port
ou les divers gagne-deniers et autres journaliers cités dans ces documents.
L'étude
qui suit présentera successivement la situation des hommes puis des femmes
habitant cette voie importante de la section du Jardin-des-Plantes par rapport
au métier qu'ils exercent alors selon les indications inscrites par le greffier
du juge de paix.
Les
461 hommes habitant la rue Saint-Victor et exerçant un métier représentent donc
les trois quarts de la population recensée ici et se répartissent entre 126
professions différentes. Leur regroupement pose de nombreux problèmes, certains
d'entre eux faisant appel à plusieurs matières d'œuvre différentes (comme les
tonneliers ou les charrons qui travaillent le bois et le fer). D'autres occupent
plusieurs fonctions : c'est le cas des épiciers, à propos desquels A. Franklin[9]
écrit :
" Jusqu'à la Déclaration du 25 avril 1777, l'histoire des épiciers se confond avec celle des apothicaires. Elle est comprise ensuite dans celle des corps de métiers dont l'ensemble représente la corporation dite des "épiciers-grossiers-droguistes-confiseurs-ciriers" (…)".
Huit
groupes peuvent être ici distingués, avec toutes les incertitudes méthodologiques qu'implique
notamment la déconstruction du système corporatif résumée ainsi par le même
auteur[10]
:
"(…) Quand les communautés
disparaissent, supprimées 1776, rétablies six mois après, puis anéanties en
1791, l'Assemblée nationale ne fait qu'exécuter l'arrêt depuis longtemps
prononcé contre elles par les économistes et par l'opinion publique (…)".
Un tableau général de ces huit groupes a pu être établi :
Les "groupes
professionnels" recensés rue Saint-Victor (Hommes) |
|
Groupe 1 – Métiers liés à l'alimentation et au commerce
alimentaire |
89 |
Groupe 2 – Métiers liés au bâtiment et au logement |
77 |
Groupe 3 – Métiers liés à l'habillement et au travail du
textile ou du cuir |
73 |
Groupe 4 – Métiers liés au commerce (hors commerce
alimentaire) et aux transports |
67 |
Groupe 5 – Autres métiers artisanaux |
53 |
Groupe 6 – Professions à caractère artistique,
intellectuel, médical ou religieux |
45 |
Groupe 7 – Prolétaires |
37 |
Groupe 8 – Métiers divers |
20 |
Total |
461 |
La
lecture de ce premier tableau récapitulatif fait apparaître une très grande
diversité dans les activités professionnelles des hommes ainsi recensés. Il n'y
a pas de groupe dominant qui pourrait faire attribuer à la rue une spécificité
économique particulière : ici, point de rue des tanneurs ou des boulangers et cette
voie se caractérise bien comme un espace pluri professionnel.
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Au
sein de ce groupe, 17 métiers différents, occupant au total 89 hommes de la
rue, sont présents, tant en ce qui concerne le commerce lié directement à
l'alimentation (6 professions) que dans la transformation et la préparation des
denrées alimentaires (11 professions).
Parmi
les activités liées au commerce alimentaire, la première place
revient aux 31 marchands de vin dont un "marchand de vin sur le
port",
Alexandre Huline[11], "demeurant
avec sa femme rue Saint-Victor chez monsieur Moreau". Il est difficile,
sinon impossible de distinguer sous cette appellation la nature exacte de
l'activité professionnelle des individus concernés. Les documents n'apportent
aucune indication permettant de séparer ceux d'entre eux qui ont une fonction
de grossistes en liaison avec la présence très proche du port et de la
Halle-aux-Vins de ceux qui ne tiennent qu'un de ces nombreux débits de boissons
achalandés par les travailleurs du quartier. Il reste que les minutes de la
justice de paix montrent qu'un certain
nombre d'entre eux sont assez aisés pour être propriétaires des maisons dont
ils occupent une partie et que d'autres, en tant que principaux locataires de
leur habitation, réclament souvent le paiement d'arriérés de loyers et
obtiennent en même temps ou par ailleurs l'expulsion de leurs sous-locataires
impécunieux. Par exemple, le 16 août 1793[12],
"le citoyen [13] Corbel, marchand de vin
et principal locataire de la maison où il demeure, rue Saint-Victor, au numéro
17",
obtient le congé de cinq familles et d'une veuve à qui il avait sous-loué des
chambres et dont il réclame par ailleurs le remboursement des loyers impayés ;
comme dans bien d'autres cas, les défendeurs sont défaillants et sont de ce
fait condamnés sans aucune forme de débat contradictoire[14].
Viennent
ensuite, dans la même catégorie, les 13
marchands épiciers auxquels peut être ajouté le garçon épicier "Jean-Pierre
René Loiseau, demeurant rue Saint-Victor chez monsieur Liévez"[15].
Presque tous interviennent en justice comme demandeurs, soit pour des créances
impayées par leurs pratiques, soit, comme pour les marchands de vin, parce
qu'ils sont propriétaires ou principaux locataires de maisons. Ainsi le "citoyen
Olivier, demeurant rue Saint-Victor, numéro 26", obtient, d'une part, le congé et le paiement
des arriérés de loyers au titre de principal locataire, le 16 février 1793[16],
contre le couple des Donnet, ses sous-locataires, et, le 16 novembre de la même
année[17],
le congé et le loyer courant dû par la citoyenne Rocher à qui il avait
sous-loué une chambre. Le même Olivier, d'autre part, avait réclamé et obtenu
le remboursement de créances dues, dans le cadre de sa profession, par des
acheteurs qui ne lui avaient pas payé les marchandises reçues : le 31 octobre
1791[18],
le "sieur Mauroy, commis au bureau des marques de
couvertures",
lui devait "cinquante-quatre livres sept sols et six
deniers pour fourniture de marchandises d'épicerie depuis le quinze août
dernier" ;
le 16 avril 1792[19], la
"demoiselle Victoire Drolpeau, cuisinière" était débitrice à son
égard "d'une somme de trente-six livres treize sols,
pour fourniture de produits épiciers". Il n'est pas possible, à partir de ces seules
indications de connaître les détails de ces "marchandises" ou de ces
"produits" épiciers.
Trois
individus complètent ce tableau du commerce alimentaire existant rue
Saint-Victor : "Jean Maillard, marchand de viande, demeurant
vis-à-vis du Christ d'Or", le "citoyen Prudhomme, marchand
fruitier, demeurant numéro 117, vis-à-vis le cloutier" et le "citoyen
Grossin, marchand d'eau-de-vie, sous-locataire avec sa femme d'une baraque
attenant à l'enclos des Bernardins".
Les
41
artisans de l'alimentation, qui transforment et vendent directement aux
chalands des produits alimentaires dans cette rue occupent des métiers très
différents.
D'abord,
9 boulangers fournissent ce
"meilleur pain du monde" dont parle Steven L. Kaplan, et dont il montre
la variété des fortunes réelles dans une étude portant sur un échantillon de
plus de 100 cas de boulangers parisiens[20].
Trois d'entre eux interviennent en tant que principaux locataires des maisons
contre des sous-locataires qui leur doivent des loyers ; d'autres sont
simplement témoins en justice gracieuse, pour des affaires de famille.
Quelques-uns se présentent devant le juge de paix à propos de créances sur la
vente de leur pain, parfois pour des sommes importantes, compte tenu du système
de crédit qui prévaut généralement envers la clientèle la plus populaire. Par
exemple, le 14 décembre 1791 [21] Nicolas Clémendot, "maître
boulanger demeurant rue Saint-Victor, numéro 20", réclame "au sieur Leblond,
marchand de vin et à son épouse, demeurant rue Saint-Victor, en face de celle
du Bon Puits,
(…) une somme de trois cent cinquante deux livres, un sol, six
deniers, pour prix de pain vendu et livré depuis le 16 juin 1789, savoir celle
de trois cents livres, compte fait entre eux, et celle de cinquante deux livres,
un sol, six deniers, selon un mémoire non arrêté". L'affaire ne se conclut pas par une
conciliation, les parties restant en désaccord sur la seconde partie de la
somme demandée. Enfin, ces importants commerçants sont souvent appelés comme
témoins, notamment dans des affaires de justice gracieuse concernant des actes
d'état civil.
De
même sont présents dans le corpus 9 limonadiers
qui vendent de nombreux produits, comme le précise Alfred Franklin[22]
:
"(…) Les articles 2, 3 et 4 de leurs statuts déterminent ainsi les produits qu'ils étaient autorisés à débiter : "Vins d'Espagne, vins muscats, vins de Saint-Laurens et de la Cioutat, vins de la Malvoisie et tous vins de liqueurs, rossoly, popula, esprit de vins, toutes limonades ambrées et parfumées, eaux de gelées, glaces de fruits et de fleurs, eaux d'anis, de cannelle, de frangipane, aigre de cèdre, sorbecs, café, cerises, framboises et autres fruits confits, dragées au détail".
L'auteur donne, en notes, la traduction et le sens "modernes" des différentes "appellations ainsi répertoriées[23]. Ces limonadiers forment, avec les vinaigriers, la 27ème corporation selon l'édit d'avril 1776. Aucun d'entre eux n'intervient en justice de paix pour des problèmes liés à leur négoce, ce qui tendrait à prouver que les dettes éventuelles de leurs clients font l'objet de règlements à l'amiable. C'est en tant que témoins qu'ils apparaissent parfois. Mais c'est comme propriétaires ou principaux locataires qu'ils sont le plus souvent présents. Le plus actif est, à ce sujet Jean-Baptiste Osmont, principal locataire de la maison qu'il habite, au numéro 66 de la rue ; cette maison appartient à la dame Chamaron. C'est à dix reprises qu'il réclame et obtient l'expulsion de certains de ses sous-locataires ainsi que le paiement des loyers qui lui sont dus. Il s'associe par ailleurs avec quatre d'entre eux, contre la propriétaire, lorsque, le 27 octobre 1793-6 brumaire an II[24], ceux-ci lui réclament le dédommagement d'un demi terme de loyer pour "privation de jouissance de leurs chambres, occasionnée par différentes constructions de maçonnerie faites dans le mur mitoyen". Osmont se retourne alors contre la dame Chamaron et obtient d'elle, par décision du juge de paix, le remboursement des loyers ainsi perdus.
Parmi ces professionnels de l'alimentation, figurent ensuite
6 bouchers. Ici encore, l'essentiel
des interventions qu'ils font auprès du juge de paix consiste en réclamations
de loyers et en demandes d'expulsion de leurs locataires. Cependant, une
affaire témoigne du climat dans lequel ce type de commerce s'exerce à l'époque
du gouvernement révolutionnaire. Il s'agit d'un conflit opposant, le 2 octobre
1793[25],
deux bouchers concurrents, "le citoyen Antoine Riom,
marchand boucher demeurant à Paris, rue Saint-Victor, demandeur d'une part, et
le citoyen Lupin Hu, marchand boucher demeurant à Paris, rue des Fossés
Saint-Bernard, défendeur d'autre part". Le premier "a
exposé qu'ayant vendu à une femme à lui inconnue deux livres et un demi quart
de viande, à raison de dix-huit sols la livre, il a été surpris de se voir
rapporter cette viande comme n'y ayant point le poids [et] d'apprendre
que c'était le citoyen Hu, boucher comme lui, qui avait fait acheter cette
viande pour éprouver si, vendant la viande à meilleur marché que lui, le
citoyen Riom n'y vendrait pas à faux poids, et de voir le citoyen Hu venir
l'injurier et le diffamer en lui reprochant, publiquement et au milieu d'une
foule de personnes, de vendre à faux poids". Le juge, après que le défendeur ait reconnu
les faits et s'être excusé pour son "erreur", proclame que "ladite
déclaration (…)
tiendra lieu de réparation d'honneur au citoyen Riom ; fait
défense au citoyen Hu de se livrer à l'avenir à de semblables inculpations,
autorise le citoyen Riom à faire imprimer et afficher, au nombre de vingt-cinq
exemplaires le présent jugement aux frais du citoyen Hu et condamne le citoyen
Hu aux dépens liquidés à deux livres".
Apparaissent
ensuite 5 aubergistes qui
interviennent, eux aussi, essentiellement en tant que propriétaires ou
principaux locataires des maisons dont ils ont cédé une partie à des
locataires. Ainsi, Pierre Poncet, "aubergiste, demeurant
rue Saint-Victor, n° 110, à l'enseigne du Chariot d'Or" se présente à sept
reprises contre des locataires, plus ou moins permanents, et dont il demande en
justice le départ et le remboursement des loyers dus. Les mêmes demandes sont
présentées par Henri Joseph Dansard, "aubergiste, demeurant
rue Saint-Victor, n° 58, au Cadran Bleu" ou par Edmé Larcher, "aubergiste,
demeurant rue Saint-Victor, n° 113, au Cheval Blanc". Leurs enseignes
servent d'ailleurs de repère topographique pour d'autres habitants de la rue.
C'est
aussi pour des problèmes liés à sa possession d'une maison que l'un des 4 charcutiers intervient à sept
reprises. Il s'agit du sieur Mercier, "maître charcutier,
demeurant rue Saint-Victor, n° 30, vis-à-vis la rue des Fossés Saint-Bernard" qui multiplie ainsi
les expulsions de ses locataires défaillants. Georges Nicolas Dumontier,
inversement est locataire de la maison qu'il occupe au numéro 33 de la rue et
doit quitter les lieux faute de paiement des termes de ses loyers. Quant aux
deux derniers, Louis Dupont et Jean Neveu, ils ne sont présents, une seule
fois, que comme témoins en justice gracieuse, le second assistant, par
ailleurs, sa femme dont une blanchisseuse a égaré des vêtements donnés à
nettoyer[26].
Le
paysage "alimentaire" brossé par ces documents est complété par la
présence de 2 brasseurs, un cuisinier, un pâtissier, un traiteur,
un tripier et un vinaigrier. Parmi ces sept métiers, un
seul est un peu décrit dans un de ces actes de justice. Il s'agit du procès qui
oppose, le 17 février 1793[27],
"le citoyen Jean-Baptiste Daribeau, marchand tripier,
demeurant rue Saint-Victor, chez le citoyen Debout" au " citoyen
Pierre Robert, dit Tourangeot, marchand boucher demeurant rue du
Paon-Saint-Victor". Ils ont décidé de "se présenter
volontairement et sans citation devant nous [le juge de paix] à l'effet d'avoir
jugement sur le différend élevé entre eux relativement à l'exécution d'une convention
par laquelle le citoyen Tourangeot s'était obligé de délivrer au citoyen
Daribeau les abats provenant de ses bœufs et vaches à raison de quatre livres
par bœuf et de trois livres dix sols par vache, et six sols pour chaque mouton,
à commencer de Pâques mille sept cent quatre-vingt douze et finir à Pâques
mille sept cent quatre-vingt treize, laquelle convention le citoyen Tourangeot
n'a exécuté que pendant cinq mois". La convention était assortie d'une avance de
cinquante livres faite par le tripier sur l'achat futur des abats, sous forme
d'"épingles", système traditionnel de nantissement
commercial, particulièrement usité à la campagne[28].
Ce document donne des indications sur les conditions dans lesquelles s'effectue
la commercialisation des produits animaux dans la capitale en 1793 et avant la
mise en place et l'application des lois sur le "maximum". Entre les
contraintes "corporatives" et ces lois révolutionnaires, la
concurrence est donc bien limitée dans les faits. Toutes les autres affaires
concernant ces petits métiers de l'alimentation ne portent que sur des
témoignages ou des problèmes de locations immobilières.
Au
total, bien que l'exercice du métier de ces hommes, habitant dans cette rue et
professionnels de l'alimentation, apparaisse peu dans ces documents, il semble
que, pour un bon nombre d'entre eux, la propriété ou l'usufruit préférentiel
des maisons où ils demeurent soit une source non négligeable de revenu et une
preuve de leur aisance économique. Et leur participation en tant que témoins de
moralité dans des actions de justice gracieuse peut confirmer leur
importance sur l'échiquier social du
quartier.
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Cet ensemble est représenté par 77 hommes
répartis entre 16 professions différentes.
En
premier lieu apparaissent des artisans
qui travaillent le bois.
Les
plus nombreux sont les 17 charpentiers
qui se répartissent entre 10 artisans, dont deux anciens "maîtres" au
sein de leur corporation, et 7 compagnons.
Parmi
les premiers, 5 individus interviennent comme témoins dans des affaires
contentieuses. Les autres, à une exception près sont parfois demandeurs pour des
loyers impayés. Un seul intervient donc pour un problème lié à l'exercice de sa
profession. Il s'agit de "Louis Dumas, charpentier,
demeurant rue Saint-Victor dans la maison de monsieur Lenain" qui réclame, le 16
avril 1792[29], au
"sieur Gros, marchand de bois, demeurant rue
Saint-Victor
(…) une somme de soixante-trois livres restant de celle de
quatre-vingt treize livres, pour le prix de la moitié d'un escalier qu'il avait
fait dans sa maison". Il n'obtient, après discussion avec son client, que 21 livres.
Parmi
les seconds, deux individus sont présents seulement comme témoins. Tous les
autres comparaissent comme défendeurs, notamment pour avoir proféré des injures
et/ou échangé des coups avec d'autres habitants du quartier. Par exemple, le 22
juin 1792[30], "le
sieur Grandpré, compagnon charpentier, demeurant rue Saint-Victor, n° 58" est accusé par "le
sieur Véron, doreur sur métaux patenté, demeurant aussi rue Saint-Victor, n° 58" de l'avoir "injurié
en déclarant publiquement que ledit sieur Véron protégeait toujours les
boulangers pour que le pain soit toujours cher et que le gardes nationales
étaient tous des gueux". Le défendeur reconnaît "avoir tenu des propos
injurieux (…) dans
un moment de vivacité" et, après s'être ainsi excusé, est condamné au seul paiement des
dépens. Quatre jours auparavant, le même Véron avait accusé du même forfait un
couple de gagne-deniers et avait obtenu une condamnation identique. Ici se
rencontrent, devant le juge de paix, les conflits personnels qui peuvent
exister entre voisins et les problèmes sociopolitiques du moment : par la voix
des consommateurs, le problème l'approvisionnement des boulangeries parisiennes
en cette période de soudure est évoqué dans l'ombre du prétoire.
En
second lieu, 12 menuisiers (10
artisans et 2 compagnons) sont présents à divers titres et, notamment, pour des
problèmes liés aux logements ou aux ateliers qu'ils occupent.
L'un
d'entre eux, Gilbert Garde, qui habite au 61 de la rue Saint-Victor, dans une
maison appartenant à la veuve Lemoine, se trouve impliqué à six reprises dans
des affaires traitées par le juge de paix.
D'une
part, il est accusé successivement par deux de ses ouvriers de ne pas leur avoir
payé les salaires qui leur étaient dus. Le 22 juin 1791[31],
"le sieur Bernard Picard, garçon menuisier
demeurant rue de la Montagne Sainte-Geneviève" lui réclame "une
somme de quinze livres, quatre sols pour huit journées et un tiers de travail à
raison de trente-huit sol la journée" ; après que Garde a déclaré que son accusateur
"a mal fait le travail et a perdu du temps", le juge réduit à 9
livres le salaire effectivement dû et condamne en outre le maître menuisier aux
dépens, soit 55 sols. Le 18 octobre 1792[32],
"le citoyen Louis Bruno Dauboin, compagnon
menuisier demeurant rue du Mûrier n° 6" demande que Garde lui verse la
somme de dix livres, dix sols, restant de celle de vingt-quatre livres, pour
solde de tout compte pour les journées qu'il a faites (…) depuis
le 6 juillet jusqu'au 30 octobre, à raison de deux livres, quatre sols par
chaque journée, prix convenu entre les parties" ; l'employeur, sur le vu du livre de comptes qu'il
présente au tribunal, est acquitté de la demande, les dépens étant compensés
entre les parties.
D'autre
part, par trois fois, il est accusé d'avoir eu des comportements de voisinage
particulièrement agressifs. Ainsi, le 27 juillet 1792[33],
"le sieur Jean-Baptiste Leture et la demoiselle
Marie-Catherine Rée, son épouse, demeurant à Paris, rue Saint-Victor n° 111" demandent au juge que
"défense soit faite au sieur Garde de plus à
l'avenir injurier, calomnier et diffamer ladite Leture, comme il l'a fait en
différentes fois, et notamment le jeudi dix-neuf du présent mois, en tenant
contre elle publiquement des propos injurieux et en disant qu'elle retirait
chez elle la dame Garde pour lui donner de mauvais conseils et que, depuis
qu'elle avait fréquenté ladite dame Leture, elle faisait mauvais ménage de
manière qu'il ne pouvait plus vivre avec sa femme et que ladite Leture était
une coquine et une débaucheuse de mariage". L'affaire est renvoyée au mois suivant mais
aucune trace de cette suite ne figure dans le corpus.
Trois
affaires concernent des problèmes qui sont plus en rapport avec le métier que
ces menuisiers exercent : l'un d'entre eux a fourni du bois de mauvaise qualité
pour la fabrication d'une cuve ; un autre ne peut, sans jugement, retirer une
croisée qu'il a donnée à vitrer, le vitrier ne voulant la restituer "qu'à
une personne munie d'un pouvoir de la Nation", la maison sur laquelle elle doit être posée
"appartenant à la Nation" ; un troisième doit
livrer à un serrurier six sergents[34]
qu'il a confectionnés et qu'il n'a pas livrés. C'est donc plus au sujet de la
commercialisation de leur production que pour leur fabrication proprement dite
que ces artisans du bois se trouvent présents en justice de paix.
A
ces deux professions les plus importantes pour le travail du bois dans la
construction et l'aménagement, il faut ajouter la présence d'un frotteur[35]
qui, à la lecture de l'acte qui le condamne, le 10 octobre 1791[36],
témoigne de ses faibles revenus. Comparaissent à l'audience "le
sieur Roche et la dame son épouse, nourrisseur de bestiaux, demeurant à Paris,
rue Saint-Victor, demandeurs" contre "le sieur Chapuis,
frotteur à Paris y demeurant rue Saint-Victor au Buisson Ardent", les premiers
réclamant au second "une somme de cent livres,
savoir cinquante six livres, trois sols et six deniers avancés par les
demandeurs et par eux payés au Bureau du Mont-de-Piété pour retirer les effets
du sieur Chapuis et de la défunte dame son épouse, consistant en un jupon de
dauphine, une robe et jupon de taffetas cannelé fond brun, une chemise de femme
garnie en dentelle, un mouchoir de femme garni en dentelle, un autre mouchoir
aussi en dentelle, un mantelet, un tablier de taffetas noir et une courtepointe
piquée et quarante trois livres, seize sols, six deniers pour fourniture de
lait faite aux dits sieur et dame Chapuis depuis le quinze septembre dernier". Il est, par ailleurs
obligé de quitter son logement à Pâques 1792, par un jugement prononcé par
défaut le 10 février de la même année.
Dans
le même secteur de la construction et de l'aménagement des habitations, 13
autres corps de métiers sont présents parmi les hommes habitant la rue.
Les
artisans de la pierre sont
représentés par 7 maçons, 1 appareilleur de bâtiment, 1entrepreneur de
bâtiment, 7 tailleurs de pierre, 4 marbriers, et 1 paveur.
Les
7 maçons se répartissent entre 3
maîtres, 3 compagnons et un garçon : il ne manque qu'un apprenti pour avoir
l'ensemble des grades de la corporation traditionnelle. Parmi les trois
maîtres, deux interviennent en tant que propriétaires de la maison à propos de
laquelle ils sont en conflit avec leurs locataires. L'un des compagnons n'a pas
payé son loyer et est expulsé ; un autre doit le prix du pain qu'il a acheté
chez un boulanger de la rue ; le dernier réclame des indemnités pour la
blessure dont son fils a été victime en tombant, dans la cour de l'immeuble
dans une trappe mal fermée. Enfin, le garçon maçon doit quitter la chambre
qu'il occupe et payer les loyers dus au propriétaire. Pour cette profession
donc, les minutes mettent, comme presque toujours les problèmes de location
immobilière au premier plan des préoccupations quotidiennes.
Parmi
les 7 tailleurs de pierre recensés,
6 sont des artisans, dont la moitié n'intervient qu'en tant que témoins en
justice gracieuse. Les trois autres sont présents en justice civile pour des
conflits d'ordre privé. Le premier, "le
sieur Pierre Henri Calame et la demoiselle Marie-Elisabeth Lenormand, son
épouse, lui tailleur de pierre, demeurant ensemble rue Saint-Victor, au Buisson
Ardent"
assiste, le 1er juin 1792[37],
sa femme accusée par "le sieur Jean-Baptiste
Lingeart et la dame Françoise Amelot, son épouse, bonnetier à Paris, même rue
et maison"
d'avoir "trouvé et gardé le portefeuille" que Lingeart avait perdu.
L'accusation est niée par les défendeurs qui sont "reconnus
gens d'honneur"
par leurs adversaires. Le second, "le sieur Nicolas
Heurté, tailleur de pierre demeurant à Paris, rue Saint-Victor, au coin de
celle des Fossés-Saint-Bernard", intente le 20 juin 1791[38]
un procès contre son beau-frère, "le sieur Guérard,
brocanteur, demeurant rue Mouffetard, au coin de celle Copeau" pour "injures,
calomnies et diffamation" ; le juge les renvoie hors de cause, compte tenu de
leur parenté. Le troisième a emprunté de l'argent à l'une de ses pratiques et
n'a pas terminé les travaux qu'il devait accomplir. Outre ces 6 artisans
comparaît un "ouvrier tailleur de pierre" qui n'a pas payé le pain
acheté chez le boulanger qui se trouve être aussi son propriétaire. Les minutes
de la justice de paix font entrevoir donc plus la description de la vie
quotidienne de ces tailleurs de pierre que de celle de leur profession.
Quant aux 7 autres professionnels de la pierre, ils n'interviennent, pour l'essentiel, que comme témoins dans des affaires de justice gracieuse. À titre d'exemple, le 29 janvier 1792, un conseil de famille est réuni autour du juge de paix et de son secrétaire pour décider de la tutelle qui doit être donnée à Marie Renault, fille mineure de "Jean-Claude Renault, ancien marchand mercier demeurant rue Saint-Victor, face à la rue des Fossés-Saint-Bernard et de Marie-Madeleine Boquillon son épouse, décédée". Le père est nommé comme tuteur de l'enfant mineur et "Lucien-Louis Vallée, entrepreneur de bâtiment, demeurant rue et enclos Saint-Victor, parrain et ami de l'enfant mineure" est désigné comme subrogé tuteur pour veiller aux biens qui doivent appartenir à l'orpheline.
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Cet
ensemble qui, selon Émile Ducoudray et Raymonde Monnier[39]
"vient en tête, avec 14 % des métiers recensés dans les registres des
cartes de surêté de l'an II", est représenté dans la rue Saint-Victor par 73 hommes et correspond à 20 professions différentes.
Les
9 métiers liés à l'habillement et aux
soins du corps sont exercés, dans des proportions très variables, par 42
individus, et sont dominés par deux spécialités, "de la tête au pied du
mannequin" : les cordonniers et les perruquiers, qui "encadrent"
les tailleurs d'habits.
Les
14 cordonniers habitant la rue sont
impliqués dans 21 affaires ; 9 d'entre elles se trouvent être des affaires de
justice gracieuse, où ils n'interviennent que comme témoins.
En
justice contentieuse, deux fois seulement ces cordonniers sont en position de
demandeurs, mais jamais à propos de l'exercice de leur profession. Ainsi, le 21
novembre 1791[40], "le
sieur Jean Hanault, cordonnier demeurant rue Saint-Victor n° 61, demandeur
d'une part, et la demoiselle Marguerite Noache, femme du sieur Jean-Baptiste
Guillon, marchand de vin, demeurant susdite rue et maison (…) se
présentent volontairement et sans citation à l'effet d'avoir jugement sur le
différend qui s'est élevé entre eux relativement aux dommages intérêts que le
sieur Hanault exige de la dame Guillon pour morsure faite par le chien de la
dite dame Guillon à l'enfant du sieur Hanault" ; l'affaire se conclut par le versement, par la
défenderesse et son mari, d'une "somme de neuf livres
pour frais de pansement et tous dommages intérêts résultant de la morsure du
dit chien".
L'autre affaire concerne un échange d'injures entre voisins. Les 10 affaires
dans lesquelles ces cordonniers sont, par ailleurs, impliqués comme demandeurs
concernent dans cinq cas des dettes de loyers suivies ou non d'expulsions. Les
autres ont trait à des emprunts d'argent non remboursés ou à des bagarres entre
voisins.
Ainsi,
les documents concernant ces cordonniers ne donnent pas de renseignement
particulier sur les conditions d'exercice de leur métier. Néanmoins, il semble
que leur condition de vie ne soit pas très florissante, notamment en raison de l'instabilité de leur
domiciliation.
Les
11 perruquiers cités sont impliqués
dans 15 affaires dont 6 relèvent de la justice gracieuse. Le nombre apparemment
très important de ces artisans s'explique, comme le souligne A. Franklin[41],
par l'usage quasi universel de la perruque à la fin du siècle :
"(…) Nous voyons fleurir encore, sous Louis XVI, les perruques de palais, à oreilles, à la circonstance, brisée, à la grecque, en bonnet, à rosette, à cadogan ou catogan, gros nœud descendant sur la nuque ; à la Panurge ; à trois marteaux, qu'affectionnaient surtout les médecins et les apothicaires. Tout le monde alors portait perruque, depuis le vieillard décrépit jusqu'à l'enfant à peine sevré ; les nobles comme les roturiers, les bourgeois, les maîtres des métiers, les ouvriers. Le moindre laquais aurait eu honte de se montrer avec ses propres cheveux et la condition des personnes se reconnaissait à la forme de leur perruque (…)".
Certains des procès contentieux donnent
quelques indications sur la profession exercée par les parties en cause. Ainsi,
le 28 mars 1791, "le sieur Koenig, maître
perruquier demeurant à Paris, rue Saint-Victor" réclame au "sieur Barriac,
chirurgien major du bataillon de Saint-Nicolas du Chardonnet, demeurant rue des
Fossés-Saint-Bernard, une somme de dix-huit livres pour prix d'une perruque
ronde, vendue, fournie et livrée". Barriac accepte de régler "sur
le champ"
la somme de 15 livres après négociation sur le prix de l'ouvrage. Une
intéressante affaire de rupture d'association entre deux perruquiers est
évoquée devant le bureau de paix et de conciliation tenu par le juge de paix le
27 avril 1792[42]. "Le
sieur Gain, perruquier demeurant rue Saint-Victor, à côté du Cheval Blanc" réclame "la
cessation de l'acte de société passé devant Lemaire, notaire, le 15 février
1792" avec
"le sieur Chevalier, perruquier, demeurant aussi
rue Saint-Victor".
Pour justifier sa demande, il déclare "qu'il pense faire mieux
seul, ayant plus de soin à conserver ses pratiques et en attirer de nouvelles;
que le défendeur, vu sa vivacité et son habileté ne fait pas autant de pratique
qu'il pourrait".
Le défendeur déclare de son côté qu'il "était dans la boutique
avant que Gain l'achète ; qu'il connaît toutes les pratiques et qu'en restant
dans la boutique il les lui a conservées ; qu'il a payé trois cent cinquante
livres pour le fonds qui rapporte mille huit cent livres" ; il demande donc à
Gain de lui verser "une indemnité de deux cents
livres"
alors que ce dernier lui en offre cinquante. L'accord se fait finalement sur le
montant d'une indemnité fixée à 60 livres, dont 50 doivent être immédiatement
versées et le restant au 1er mai, date de l'arrêt définitif
d'activité du défendeur. Cette affaire peut être un reflet du fonctionnement de
ces "sociétés" de travail, qui regroupent deux ou plusieurs artisans
; les mêmes associations se retrouvent dans certaines activités commerciales,
comme dans le transport sur terre ou sur eau. Par ailleurs, ces perruquiers
prodiguent de multiples soins corporels à leurs pratiques, proches en cela des
barbiers qui forment avec eux, les "baigneurs" et les
"étuvistes" une communauté professionnelle unique reconnue par des
statuts communs. Ainsi, le 1er avril 1791[43],
"le sieur René, maître perruquier demeurant à
paris, rue Saint-Victor", représenté par "la dame René, son
épouse"
assigne devant le juge de paix "le sieur Ferlu, prêtre
et ancien directeur de la petite communauté du séminaire
Saint-Nicolas-du-Chardonnet" en lui réclamant "une somme de vingt-six
livres pour accommodage pendant treize mois, à raison de quarante sols par mois". Après discussion sur
le nombre de mois et sur la somme due, le juge condamne le prêtre ainsi
"accommodé" à payer au perruquier 18 livres et à verser 4 livres au
titre des dépens. Une affaire identique a opposé, quelques jours plus tôt un
autre perruquier à un maître de pension de l'Université de Paris pour des soins
qui n'ont partiellement pas été payés depuis 17 mois. Ces
"abonnements" de soins capillaires et autres semblent donc en usage
au sein de la profession.
Parmi
les 8 tailleurs d'habit répertoriés
dans la même rue, un seul se présente devant le juge de paix pour une affaire
liée à sa profession. Il s'agit, le 25 mai 1794-6 prairial an II[44],
du conflit qui oppose "le citoyen Jean-Baptiste
Vanin, citoyen français demeurant à Paris, Place de Grève n°66, demandeur d'une
part et le citoyen Claude Jean-Baptiste Vion, tailleur d'habit demeurant rue
Victor, défendeur d'autre part (…) pour raison d'une redingote
que le fils du citoyen Vanin a remise au citoyen Vion pour lui en faire un
habit et que le citoyen Vion prétend avoir remis à la femme du citoyen Vanin
fils". En
fait, la "citoyenne Clothilde Françoise Thévenin,
demeurant rue du Petit Bac, faubourg Saint-Germain" n'est pas la femme
mais la concubine du jeune Vanin parti aux armées ; appelée à comparaître à
l'audience suivante, elle "a dit qu'il était vrai qu'elle
avait retiré des mains du citoyen Vion la redingote du citoyen Vanin fils avec
lequel elle vivait, que ce dernier lui ayant écrit plusieurs fois de lui
envoyer de l'argent, elle avait vendu la dite redingote et avait employé
l'argent tant à ses besoins qu'à ceux dudit Vanin fils, qu'ainsi elle ne
pouvait rendre ledit habit, et (…) a présenté plusieurs lettres
par lesquelles le citoyen Vanin fils lui accusait la réception de différentes
sommes".
Le juge se range aux arguments présentés par la jeune femme, la met hors de
cause et "renvoie le citoyen Vion de la demande du
citoyen Vanin, tous dépens compensés entre les parties". Cette minute donne
donc très peu d'indication sur le travail de ce tailleur tout en apportant une image
non dénuée d'intérêt sur les conditions de vie des "soldats de l'an
II" et de leurs relations avec leurs proches restés à l'arrière.
Les
autres métiers liés à l'habillement et aux soins du corps sont représentés dans
la rue par 3 chapeliers, 2 parfumeurs, 1 bonnetier, 1 cardeur de
chapeau, 1 fabricant de bas et 1 passe-talonnier[45].
Aucun d'entre eux n'intervient pour des raisons liées à l'exercice de la profession,
à l'exception, peut-être, du "sieur Jean-François Briard,
parfumeur demeurant à Paris, rue Saint-Victor n° 116" qui intente, le 2
décembre 1791[46], un
procès au "sieur Antoine Beauche, cordonnier demeurant à
Paris, rue Saint-Victor n° 65" au sujet d'un "billet faux de la
Caisse patriotique de la somme de vingt-cinq livres que le sieur Briard prétend
lui avoir été donné en paiement par le sieur Beauche, samedi dernier, sur les
sept heures du soir". Mais le texte de la minute n'indique pas à quel objet précis
correspond le paiement en question.
Au
total, pour l'ensemble des professionnels liés aux métiers de l'habillement et
aux soins du corps, les actes de la justice de paix n'apportent que peu de
renseignements sur le fonctionnement même des métiers dont il s'agit, même si
certains écarts de fortune peuvent être parfois précisés.
Parmi
eux dominent très largement les 18
couverturiers qui se répartissent, dans cette rue, entre 9 maîtres, 8
compagnons et 1 garçon. On peut rattacher à cette catégorie professionnelle un empeigneur de couverture[47] (il
a agressé verbalement et physiquement l'un de ses compagnons de travail qui
habite rue Mouffetard). Seules, trois affaires ont trait à l'exercice de cette
profession dont Émile Ducoudray et Raymonde Monnier soulignent l'importance
particulière dans le faubourg Saint-Marcel[48]
lorsqu'ils évoquent la concentration ouvrière caractéristique de certains
quartiers de Paris :
"(…) Celle-ci [la concentration ouvrière] est particulièrement forte sur la rive droite, dans l'axe des rues Saint-Denis et Saint-Martin, jusqu'au faubourg Saint-Denis, où les fabriques d'étoffe de gaze, dentelle et mercerie se distinguent par l'importance des effectifs ouvriers. C'est aussi le cas au faubourg Saint-Marcel, où se trouvent la plupart des fabriques de couverture et les grosses bonneteries (…)".
A. Franklin précise la localisation de ces couverturiers[49] :
"Fabricants de couvertures (…). Au dix-huitième siècle, presque tous les couverturiers de Paris étaient établis dans les faubourgs Saint-Marcel et Saint-Martin ; mais plusieurs villes de Normandie, Darnetal et Vernon surtout, fournissaient à Paris une énorme quantité de couvertures (…)".
Lors d'un procès en comparution volontaire que "le
citoyen Caron, maître couverturier demeurant rue Saint-Victor, chargé du
pouvoir du citoyen David Bacot, négociant en couvertures" demande,
le 4 juillet 1793[50],
à "la citoyenne Jeanne Guillaume, femme du citoyen Sellier,
boulanger demeurant rue Mouffetard, n° 421" de lui remettre les
clefs de la chambre occupée chez elle par "le citoyen Debily,
couverturier, l'un de ses ouvriers" afin d'en retirer divers outils
et "notamment une mécanique à filer le coton, une paire de
brésoix, deux cardes fines, un dévidoir et divers autres outils" :
il s'agit bien là de la description partielle du matériel utilisé par ces
ouvriers à domicile qui formaient, hors manufacture, l'essentiel de la main
d'œuvre employée dans cette spécialité. C'est là un des rares témoignages du
mode de travail en usage dans cette profession. Presque toutes les autres affaires
concernant ces couverturiers portent sur des témoignages en matière gracieuse
ou sur des conflits liés au logement de ces compagnons.
Ce
travail à domicile dans les professions du textile est mis en évidence lors
d'un procès qu'intente, le 17 octobre 1794-26 vendémiaire an II,[51]
"le citoyen Alphonse Pezant, tisserand,
demeurant rue de Loursine" au "citoyen Fabre, manufacturier
en coton demeurant enclos Victor". Le demandeur réclame au manufacturier "une
somme de cinquante livres pour le temps perdu à montrer au défendeur à faire de
la toile et pour différentes courses faites avec lui pour acheter un métier à
faire de la toile". Dans sa requête orale devant le juge de paix, l'ouvrier "déclare
s'être présenté chez le citoyen Fabre pour y travailler", ce dernier "lui
a promis de lui donner plus qu'aux autres ouvriers, à raison de cinq sols par
aulne, à condition qu'il lui montrerait son état". Mais Fabre l'a ensuite renvoyé et "et
a refusé de le payer, tant pour la toile que pour les courses ". Apparaît donc ici un
ouvrier qualifié, recruté pour mettre en place une nouvelle technique dans un
atelier du quartier, le propriétaire manufacturier ne la connaissant pas. Et
c'est à ce titre qu'un salaire plus important que celui des autres salariés lui
est proposé. C'est sur cette base que le manufacturier se défend devant le juge
: il ne dit pas que l'ouvrier n'a pas travaillé, mais "qu'il
n'a fait que très peu de toile et ne lui a rien montré" et s'il ne lui a pas
versé son salaire, c'est pour "la manière avec
laquelle il s'est comporté chez lui en le maltraitant". Le juge décide que
l'employeur doit payer au salarié 25 livres pour les indications de travail
fournies et que, pour la toile faite, il devra lui verser 5 sols de plus qu'aux
autres travailleurs de l'entreprise, faisant ainsi droit pour l'essentiel aux
demandes présentées par le salarié.
Les
autres professions liées au travail du textile sont représentées par 2 blanchisseurs (ils n'interviennent
qu'en tant que témoins), 2 cardeurs de
laine (l'un est témoin et l'autre est condamné à quitter son logement faute
de paiement des loyers), 2
manufacturiers de coton (l'un est témoin et l'autre, Fabre, vient d'être
présenté dans son conflit professionnel avec l'un de ses ouvriers), un brodeur (témoin), un fabricant de coton (il semble peu
fortuné : d'une part, il se fait expulser d'une chambre qu'il a louée dans la
rue ; d'autre part, il a beaucoup de peine à rembourser une petite dette
d'argent), un fabricant de molleton
(principal locataire d'une maison, au coin de la rue des Fossés-Saint-Bernard
et dont il sous-loue des chambres), un
peaussier[52]
(témoin), un peintre sur indienne
(le 15 mai 1795-26 floréal an III[53],
il reconnaît avoir "dans un état d'ivresse tenu des
propos inconsidérés" à l'encontre d'un couple de ses voisins) et un tisseur (témoin).
Ici encore, rares sont les indications textuelles qui peuvent donner des informations précises sur les conditions dans lesquelles sont exercées ces métiers liés au travail du textile.
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Au total, 30 hommes, habitant dans la rue,
exercent l'un des métiers ressortissant de ce secteur.
Les
10 marchands merciers sont les plus
nombreux. Appartenant, avec les drapiers, au premier des "Six-Corps"
redéfinis dans l'Édit d'août 1776[54],
ils interviennent surtout comme témoins en justice gracieuse ou comme
demandeurs pour les problèmes de loyers impayés par leurs locataires. Seuls
deux d'entre eux sont présents en tant que défendeurs. Le premier, "le
citoyen Jean-Baptiste Chivery, marchand mercier demeurant rue Saint-Victor n°
146" se
fait expulser de sa "chambre au 4ème étage devant" par sa logeuse,
"la citoyenne Geneviève Eustache, fille majeure" : il lui doit
"quinze livres de terme échu "[55].
Le second, "le citoyen Jean-Pierre Maillard, marchand
mercier demeurant rue Saint-Victor n° 22" a vendu "une paire de boucles
d'oreilles en or confiées en nantissement de la somme qu'il avait prêtée "à "la
citoyenne Marguerite Mensnier, veuve Lambert, demeurant rue Eloy, cul-de-sac
Martial"
après avoir déposé le dit bijou au Mont-de-piété pendant plus d'un an[56].
Après discussion sur les sommes dues, la demanderesse est finalement redevable
au mercier d'une somme de 7 livres qu'elle rendra en échange du bijou déposé en
attente auprès du greffier.
Aucune
de ces différentes actions ne concerne donc la profession exercée par ces
marchands merciers.
Les
6 marchands de bois présents dans
cette rue sont évidemment liés à la proximité du port au bois qui se trouve sur
le quai Saint-Bernard et aux "chantiers" de bois qui s'échelonnent
entre la rue Saint-Victor et le quai. Parmi eux se trouvent un témoin, deux
principaux locataires qui réclament des loyers dus par leurs sous-locataires et
deux individus qui n'ont pas payé à des artisans (un menuisier et un
charpentier) des travaux qu'ils auraient commandés
Une
seule affaire concerne des problèmes liés à la profession des plaideurs. Le 23
mai 1791, les époux Durand interviennent contre "le
sieur Rigault, marchand de bois à brûler pour la provision de Paris, y
demeurant rue Saint-Victor" qui ne leur a pas "livré trois voies de
bois neuf[57] restant
à livrer sur un bon de quatre voies, lequel bon a été perdu par le sieur
Durand, ainsi conçu "bon pour quatre voies de bois neuf que monsieur
Rigault voudra bien remettre au porteur à Paris, ce premier février mille sept
cent quatre-vingt onze, signé Robert pour Monsieur Rigault", au dos duquel
étaient deux ordres en blanc en faveur du sieur Durand, signé Perrier et Colin,
et sur lequel bon était encore écrit "Livré à compte une voie
par le commis du chantier du sieur Rigault". Les demandeurs, en l'absence du marchand de
bois ou de son représentant, obtiennent sa condamnation et l'obligation pour
lui d'effectuer la livraison des trois voies de bois "le
jour de la signification" du jugement. C'est donc une affaire qui concerne la
commercialisation de ce "bois à brûler" si important pour la vie
quotidienne des Parisiens.
Le commerce des habits à bas prix est représenté ici par 4 marchands fripiers qui n'interviennent qu'en tant que témoins dans des actes de tutelle, de curatelle ou d'émancipation, sans que leur profession ne soit définie que par le nom qui lui est donné. Par ailleurs, 2 négociants, dont l'un est aussi témoin en justice gracieuse et l'autre, "le citoyen Jacques-Jérôme Dupont, ancien négociant demeurant rue Saint-Victor n° 49" intervient le 29 mai 1793[58] pour être autorisé à faire effectuer "tous les travaux nécessaires dans une maison et dépendances attenant à la ci-devant Congrégation des prêtres de la Doctrine chrétienne", immeuble qu'il vient d'acquérir. Enfin, 3 marchands ferrailleurs (2 sont témoins et le troisième, principal locataire d'une maison, doit laisser une de ses sous-locataires partir de sa chambre), 1 charbonnier (témoin), 1 grainetier (qui intervient aux côtés de sa femme qui réclame la livraison d'un cuvier de blanchissage), 1 marchand grossier[59] (témoin), et 1 marchand de tabac (cité parce que sa fille mineure a causé un accident dans la cour de l'immeuble) habitent dans cette rue et sont cités dans les actes de la justice de paix sans qu'apparaisse un lien entre leur présence et l'exercice de leur métier. Par contre, 1 marchand colleur de papiers peints est requis comme expert dans une affaire où ses compétences professionnelles sont reconnues et utilisées par le juge de paix. Le "sieur Dubuisson, peintre papetier demeurant rue du Puits de l'Ermite et son épouse" ont réclamé, le 16 juin 1791[60], au "sieur Laurent, bourgeois de Paris demeurant même rue (…) une somme de soixante-trois livres quatre sols pour prix de fournitures, bordures et collage de papiers peints". Le défendeur réfute successivement deux experts pour en accepter finalement un troisième qui procède à l'expertise, le 28 juin 1791[61] : " (…) Nous Jacques-René Mortier (…) nous sommes transportés (…) dans une maison sise rue du Puits-de-l'Ermite où, en notre présence et celle de la dame Dubuisson et du sieur et dame Laurent, le sieur Louis Miette, expert nommé par notre jugement du vingt-deux juin présent mois, après avoir prêté serment d'estimer les ouvrages et fournitures dont il s'agit en son âme et conscience, a procédé à la visite, prisée et estimation ; dont il est résulté de son estimation (…) que toutes les dites sommes réunies forment une somme totale de cinquante sept livres cinq sols (…)". Le détail de l'estimation est reproduit avec beaucoup de précision et donne une description intéressante de ce que pouvait être le décor mural d'une maison "bourgeoise" de ce quartier.
Les
professionnels du transport sont représentés, dans la rue Saint-Victor, par les
voituriers, les charretiers et les loueurs de carrosses.
Les
8 voituriers de la rue sont
impliqués dans 14 affaires différentes. Ils sont témoins dans 5 d'entre elles
pour des actes de justice gracieuse. Dans 7 cas, ils sont défendeurs ou cités
en compagnie de leur épouse elle-même défenderesse. C'est dans les deux
affaires où l'un d'entre eux intervient en tant que demandeur que sont
présentés certains aspects de leur métier. Il s'agit du "citoyen
Étienne Dupuis, voiturier demeurant rue Saint-Victor n° 61, au Buisson Ardent", par ailleurs qualifié
en novembre 1792[62] comme
"porte-étendard de la section armée des
Sans-culottes".
Le 16 février 1793[63],
il réclame, au nom de sa femme "Marie-Madeleine Gosse" et en son nom propre,
au "citoyen François Guinet, voiturier demeurant à
Paris rue d'Enfer au Petit Luxembourg (…) une somme de cinq cents livres
par forme de dommage intérêts (…) pour avoir agi de voies de
fait envers la femme Dupuis, le six février présent mois, au devant de la porte
du Chantier du Faubourg, situé dans l'arrondissement de la section des
Sans-culottes ; que ladite femme Dupuis voulant s'opposer avec raison à ce que
le défendeur n'entre dans le chantier avec sa voiture, ce dernier a persisté à
vouloir y entrer et a saisi le poignet de ladite femme Dupuis avec vivacité et
emportement et lui a renversé de manière à lui démettre ledit poignet ; et que,
depuis cette époque, elle ne peut se servir de son bras". Guinet déclare pour
sa défense "que la femme Dupuis se précipitant sur une
voiture où elle encourait un grand danger, il la prit par le bras pour l'en
débarrasser, mais qu'il ne lui a fait aucun mal puisqu'elle a continué de
travailler audit chantier toute la journée". Selon les témoignages dires des divers témoins
de la scène appelés à comparaître, il apparaît que le responsable du chantier
avait donné la priorité à la femme Dupuis pour charger sa voiture de bois et
que "le défendeur a voulu charger à sa place à cet
effet sa voiture et que la citoyenne Dupuis ayant voulu empêcher que la voiture
du défendeur n'entre au chantier pour charger le bois qu'elle devait charger,
pour prendre sa place le défendeur l'a repoussée avec violence en la prenant
par le bras".
Au total, Guinet "offre à titre de transaction
et non autrement la somme de vingt cinq livres pour frais de pansements, dépens
et dommages, de déposer à l'instant entre les mains du secrétaire greffier la
somme de dix livres et, pour les quinze livres restantes, a demandé terme et
délai de six semaines pour payer, ce qui a été accepté par les citoyen et
citoyenne Dupuis".
Grâce à ce document, apparaît un aspect
familier de la vie tumultueuse qui présidait aux activités de ces voituriers
particulièrement vindicatifs dans l'exercice de leur métier : la concurrence
est vive entre eux et les rixes nombreuses …
Les
minutes dans lesquelles sont cités 9
charretiers habitant rue Saint-Victor poursuivent et précisent cette image
"agitée" de la voie publique et des conditions dans lesquelles
travaillent ces professionnels du transport urbain qui sont toujours les
salariés de voituriers ou voituriers eux-mêmes. À l'exception d'une affaire qui
a pour objet l'expulsion de l'un d'entre eux et d'un conflit né d'une dette de
nourriture impayée, tous les problèmes évoqués concernent leurs conditions de
travail et de rémunération.
Le
11 mars 1791[64], "le
sieur Bourguignon, charretier du sieur Jourdan, marchand de bois demeurant rue
Saint-Victor au Chantier Vert" se voit réclamer par "le
sieur Charles Bisson, voiturier sur les ports à Paris demeurant rue du Marché
aux Chevaux, dans la maison du sieur Pauchain (…) une somme de soixante-trois
livres pour le prix d'un cheval, poil bais brun, de taille moyenne, hors d'âge,
que Bourguignon a blessé en faisant passer sa voiture sur le sabot et l'a mis
hors d'état de jamais pouvoir servir". Après discussion et appel à témoins, le
charretier et son employeur sont solidairement condamnés à payer au demandeur
les 63 livres réclamés ainsi que les dépens ; c'est l'employeur qui verse
immédiatement la somme et qui récupère le cheval estropié.
Le
29 septembre de la même année[65],
"le sieur Étienne Diard, charretier demeurant
chez le sieur Dard, rue Saint-Victor" a gardé une partie de la somme perçue par une
cliente, "la dame Dassin" qu'il devait remettre au "sieur
Jacques Jarraud, maître marbrier demeurant à la Barrière Saint-Jacques" ; il est condamné à
rembourser la somme due, soit 41 livres qu'il paiera "par
sixième à partir du 1er octobre prochain".
Le
16 avril 1792[66], c'est
encore pour un accident de la voie publique qu'un charretier, "le
sieur Biel, charretier de la dame Canoger, salpêtrière demeurant ensemble à
Paris rue Saint-Victor" est appelé à comparaître par "le sieur Pigeonnat,
maçon demeurant rue du Bon-Puits" qui réclame "une somme de neuf
livres en dommages faits par la voiture de Biel à son cheval, par négligence" ; le demandeur
obtiendra la moitié de la somme, soit 4 livres et 10 sols.
Deux
semaines après, le 24 avril 1792, c'est une rixe entrainant coups et blessures
que décrit, dans une déclaration faite devant "le
commissaire de police de la section du Jardin-des Plantes (…) la
demoiselle Jeanne Agathe Bonnet, épouse du sieur Jean Durand, charretier et
voiturier par terre demeurant rue Saint-Victor n° 118". La reproduction
d'une partie de ce document, joint à la minute du juge de paix du 30 avril 1792[67],
permet de prendre connaissance des formes et des conséquences de ces
"embarras de Paris" si fréquents dans ces quartiers laborieux :
"Que, vers les trois heures après midi de ce
jour, son mari passant dans la rue Saint-Victor et conduisant une voiture chargée
de fagots, pour éviter de s'embarrasser avec des voitures qui venaient en sens
contraire à lui et faciliter le passage de la sienne, il se dérangea une
voiture qui se trouvait devant lui en prenant le cheval par la bride ; qu'alors le nommé Robert, maître maréchal qui
conduisait cette voiture, ainsi que deux particuliers dont il était accompagné
et qui paraissaient ses compagnons dirent au mari d'elle comparante pourquoi il
dérangeait leur voiture, s'il n'avait pas assez de place pour passer ses rosses
; qu'à ce propos, son mari répondit que les rosses le faisaient vivre ;
qu'aussitôt le sieur Robert a donné à son mari un coup de poing dans l'estomac
; que son mari ayant seulement repoussé ledit sieur Robert, il est tombé sur
lui ainsi que ses deux compagnons et lui ont donné des coups dans différentes
parties du corps dont il se trouva fort incommodé ; que le charretier dudit
sieur Robert s'étant joint à lui a porté sur la tête de son mari un coup de
manche de son fouet dont il l'a blessé dangereusement ; que les particuliers
s'étant échappé au moment où la garde est survenue, son mari n'a pu les faire
arrêter et s'est retiré voulant continuer à travailler ; mais que vers les cinq
heures du soir, se trouvant trop mal des coups qu'il avait reçus a été obligé
de se mettre au lit, où il est en ce moment".
Le
11 juin de la même année[68],
un accident survient encore sur la voie publique du fait, semble-t-il, du
"charretier du sieur Jean-Baptiste Lanty,
voiturier par terre demeurant rue des Fossés-Saint-Bernard" qu'un autre voiturier
de la rue des Fossés-Saint-Bernard, "le sieur Armessan", accuse d'avoir
blessé un de ses chevaux. Parmi les témoins présentés par le demandeur figure
"Jacques Bellier, charretier chez le sieur
Faron, rue Saint-Victor, et demeurant chez le sieur Moreau, boulanger, même rue". Bellier décrit la
scène à laquelle il a assisté ainsi qu'un autre charretier travaillant aussi
pour Faron. La hiérarchie sociale existant entre voituriers et charretiers
semble bien établie et les témoignages des seconds vont toujours, dans de
pareilles circonstances, dans le sens des dires de leurs employeurs.
Enfin,
cinq jours après[69], un
autre charretier "le sieur Guin père, charretier
demeurant rue Saint-Victor n° 39", est accusé de devoir "une
somme de vingt-huit livres d'un billet à ordre timbré et enregistré" au "sieur
Bozon, ouvrier cordonnier demeurant rue de Versailles n° 5". Sa femme qui le
représente reconnaît le bien fondé de la demande et obtient pour le
remboursement de la dette contractée par son mari "un
délai par sixième, de quinzaine en quinzaine".
Au
total, ces charretiers, querelleurs, peu soucieux des autres usagers de la voie
publique ou négligents, ne sont guère valorisés dans ces minutes qui confirment
le portrait charge qu'en dresse d'eux Louis-Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris[70]
:
"Qui n'a pas reçu du bout du fouet d'un charretier, au risque de perdre un œil ? Une charrette tient toute la rue barrée par les deux énormes essieux qui saillent grossièrement du milieu de chaque roue : il est impossible qu'ils n'accrochent le ventre ou les poitrines des infortunés piétons selon leur hauteur. (…) les charrettes à Paris s'accrochent éternellement, et malheur à qui marche devant ou derrière. Si le cheval fait aussi parmi nous un écart, le charretier le redresse à grands coups de fouet, et il frappe tout ce qui se trouve dans la ligne circulaire que décrit son aveugle et impitoyable bras. Ce fouet va chercher l'homme le plus éloigné qui, distrait ou pensif, s'avance dans la rue et lui emporte une oreille ou lui coupe le visage. Le charretier jure toujours comme un enragé, quoique le sang coule, et le pauvre blessé qui voit couper et sangler les chevaux n'ose encore parler à ce diable furieux, et se sauve chez le chirurgien (…)".
Par
exemple, le 1er août 1793[71],
comparaît "le citoyen François Pradier, compagnon charron
demeurant rue des Boulangers" réclame au "citoyen Riotte, charron
demeurant à Paris rue et enclos de la ci-devant abbaye Saint-Victor (…) une
somme de dix-sept livres quatorze sols restant à payer de plus forte somme pour
ouvrages de charronnage que le demandeur a faits pour le compte et par ordre du
défendeur dans le courant de juin et juillet dernier suivant le prix convenu
verbalement entre eux". L'employeur prétend que, son ancien salarié "ne
sachant pas parfaitement travailler", il ne lui doit rien de plus que ce qu'il lui a donné
; une transaction est finalement trouvée entre les parties, Riotte étant
condamné à verser à Pradier 14 livres au lieu des 17 livres 14 sols demandés.
En
ce qui concerne les conflits avec les clients, l'exemple peut être donné par
celui qui oppose, le 8 août 1791[72],
"le sieur Carré, marchand de chevaux demeurant
rue Traversine"
au "sieur Lagesse, maître charron demeurant rue
Saint-Victor".
Le client réclame la nomination d'experts pour "vérifier
et estimer les ouvrages de charronnage faits pour l'accommodage d'un tombereau". Par ailleurs, il
demande la remise "d'un vieux tombereau garni de
son essieu en fer, déposé dans la cour de Lagesse lorsqu'il a enlevé l'autre
tombereau ; qu'il ne lui a pas demandé de le raccommoder, d'autant plus que
l'autre n'a été raccommodé qu'avec des planches pourries, ce qui le rend dans
l'impossibilité de s'en servir". Deux experts sont alors nommés et le procès est
renvoyé à leurs conclusions.
Comme
les charrons, les 5 maréchaux ferrants
(4 maîtres et un compagnon) sont intimement liés à la pratique des transports,
leur activité professionnelle portant essentiellement sur l'entretien des
animaux de trait. À l'exception de témoignages en justice gracieuse et du conflit
concernant une rixe entre l'un d'entre eux et un charretier, les affaires qui
les amènent devant le juge de paix ont trait à des conflits salariaux. Le 9
janvier 1792[73], "le
sieur Jacques Sauce, compagnon maréchal demeurant rue Saint-Victor dans la maison
du sieur Davy"
réclame "au sieur René marchandeau, maître maréchal
demeurant Place aux Veaux (…) une somme de vingt-neuf livres
six sols pour travaux faits pour son compte" ; l'épouse du défendeur comparaît à sa place,
reconnaît la dette et obtient de rembourser en trois fois la somme ainsi due.
Le 30 mars de la même année[74],
"le sieur Étienne Robert, maître maréchal
demeurant rue Saint-Victor n° 104, vis-à-vis une boulangerie", par ailleurs souvent
témoin et cité dans une bagarre de voisinage, se voit réclamer par "le
sieur Louis Couault, compagnon maréchal demeurant au Port Saint-Paul (…) une
somme de onze livres pour salaires" ; il reconnaît devoir 10 livres qu'il propose de payer
"dimanche prochain". Enfin, le 3 août 1794-16 thermidor an II[75],
"le citoyen Delforge, dit Flamand, maréchal
demeurant rue et enclos Victor" est condamné, par défaut, à payer au "citoyen
Hugues Mercier, compagnon maréchal demeurant rue de Seine-Victor, section des
Sans-culottes
(…) une somme de dix-sept livres, restant de plus forte somme
pour les journées faites pour son état, à raison de sept livres par jour, prix
convenu entre eux". Le texte ne dit jamais à
quel type de travail correspondent les sommes ainsi réclamées.
Dans
ce même secteur des transports sont concernés d'autres métiers représentés par
des habitants de la rue Saint-Victor. Il en est ainsi pour 4 loueurs de carrosses (dont deux sont présents pour des injures et
bagarres dans la rue), 2 cochers de
place et 1 carrossier.
Parmi
les premiers, le "sieur Benoît Mauny, demeurant
rue Saint-Victor, n° 65, près celle des Boulangers" intervient à dix
reprises, mais jamais à propos de ses activités professionnelles : propriétaire
de la maison où il habite, il fait procéder régulièrement par voie de justice à
l'expulsion de certains de ses locataires pour défaut de paiement des loyers.
L'un
des ses confrères, "le sieur Benoît Marin, loueur
de carrosses à Paris, demeurant rue Saint-Victor", est, par contre, impliqué dans trois procès
portant sur des affaires liées à l'exercice de son métier. Le 13 mai 1791[76],
il est condamné à payer au "sieur Thermois, agent des
propriétaires des voitures publiques, domiciliés en leur bureau sis rue
Neuve-des-Capucines, une somme de vingt-quatre livres restant de celle de
soixante livres pour quinze jours de louage d'une voiture anglaise (…) à
raison de quatre livres de loyer par jour" ; par ailleurs il doit rendre le harnais qu'il
a conservé. Ce "loueur de carrosses" est donc lui-même le client
occasionnel d'une compagnie publique de carrosses. Le 30 juillet 1792[77],
il doit payer au "sieur Nicolas Alexandre Lair,
laboureur demeurant à Gadancourt et actuellement chez la dame Contrion, rue du
Faubourg-Saint-Jacques (…) le prix de quatre journées de travail pendant
lesquelles "Lair devait être mis au courant du travail par l'ancien
palefrenier de Marin". C'est donc en tant qu'employeur qu'il est ici mis en cause.
Enfin, devant le bureau de paix et de conciliation, il est amené à verser, le 3
décembre 1792[78], au
"sieur Anthèlme Mamy, aussi loueur de carrosses
demeurant place Saint-Michel (…) une somme de quarante livres
pour un lit et un mantelet et pour la nourriture et le louage d'un cheval pour
ramener la voiture dudit Benoît Marin, de nuit". Il s'agit ici d'une transaction entre deux
loueurs de carrosses qui se sont échangé des services.
Les
deux cochers de place n'interviennent qu'à l'occasion de conflits de voisinage.
Quant
au "citoyen Sébastien Bellardele, carrossier demeurant rue Victor n°
27", il est seulement présent comme témoin pour la mise en tutelle d'un
orphelin mineur.
Dans
ce secteur des métiers liés aux transports, une place particulière revient aux 7 individus qui travaillent sur et pour les
ports de la Seine installés sur les quais très proches de la Tournelle et
Saint-Bernard : 2 commissionnaires, 1 compagnon de rivière, 1débardeur de bois, 1 fagotier de chantier et 1 garde sur les ports.
Les
deux commissionnaires, le compagnon de rivière n'interviennent que comme
témoins. Le débardeur de bois est expulsé de la chambre qu'il occupe avec sa
femme. Le fagotier de chantier a été témoin d'une rixe survenue chez un
marchand de boissons de la rue. Quant au garde sur les ports, il intervient en
justice pour conserver le logement que veut lui reprendre le propriétaire.
Au
total, ces hommes travaillant dans le secteur du commerce non alimentaire et
des transports pratiquent des métiers très divers. À quelques exceptions près,
les minutes de la justice de paix donnent plus de renseignements sur certains des
comportements sociaux de leurs acteurs que sur leur pratique proprement dite
des métiers.
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L'artisanat du métal est représenté par 24
individus.
Parmi
les 7 cloutiers (3 maîtres et 4
compagnons) présents dans le corpus, "le sieur Pierre
Courbra, maître cloutier demeurant rue Saint-Victor n° 55" intervient à 7
reprises. Il est appelé deux fois comme témoin pour des affaires de justice
gracieuse. Dans trois autres cas, il intervient en tant que propriétaire pour
réclamer des loyers impayés et faire expulser les locataires débiteurs. Dans
une affaire datée du 9 juin 1791[79],
il est accusé de retenir indûment, "dans sa boutique divers
outils du métier de cloutier qui appartenaient au sieur Étienne Delaux,
cloutier demeurant au bureau des voitures de la cour du quai d'Orsay, paroisse
Saint-Thomas d'Aquin et qui pouvaient valoir une somme de soixante livres" ; ces outils, un
"sieur Sigot, compagnon cloutier demeurant rue
des Petits-Champs, paroisse Saint-Roch" les avait déposés chez Courbra, pour une raison
qui n'est pas mentionnée. De cette affaire semble ressortir la complexité des
rapports qui pouvaient exister au sein de cette corporation entre maîtres et
compagnons comme entre maîtres eux-mêmes.
5 graveurs sur métaux, 3 couteliers, 3 doreurs sur
métaux, 1 armurier, 1 fourbisseur[80],
1 facteur d'orgues, 1 fondeur, 1 compagnon horloger et 1
poêlier complètent le tableau des
artisans du métal qui habitent rue Saint-Victor et sont présents à divers
titres devant le juge de paix. Un seul d'entre eux est présent pour un problème
concernant son activité professionnelle. Il s'agit, le 16 septembre 1791, du
"sieur Charles Louis Landrieux, compagnon
horloger demeurant rue Saint-Victor" qui réclame "au sieur Charles Joseph
Lecocq, luthier pour les jouets d'enfants demeurant rue du Bon-Puits n° 22 (…) une
somme de onze livres seize sols pour ouvrages de son état" : il est possible que
ces "ouvrages" aient consisté en mécanismes précis nécessaires pour
l'animation de ces jouets d'enfants ; mais ce n'est là qu'une hypothèse que le
texte de la minute ne permet pas d'affirmer.
Au
total ces professionnels des métaux n'interviennent donc que très
exceptionnellement en raison de la pratique de leur métier.
L'artisanat des autres
matériaux
est représenté par le même nombre d'individus inégalement répartis entre 9
métiers différents.
Parmi
les travailleurs du cuir (hors les
cordonniers et bottiers) se trouvent 6
selliers et 5 bourreliers, liés
d'ailleurs indirectement au secteur des transports.
Deux
selliers n'interviennent que comme
témoins dans des affaires gracieuses, les autres ont prêté ou emprunté de
menues sommes d'argent pour des raisons diverses et l'un d'entre eux, "le
citoyen Duroy père, sellier demeurant rue Victor n° 119" réclame à un client,
le 24 juillet 1795-6 thermidor an III[81],
"une somme de quarante cinq livres pour ouvrages
de sellerie",
ouvrages dont le texte ne précise pas les détails.
Parmi
les cinq bourreliers, dont aucun
n'intervient à propos de l'exercice de la profession, le cas de "François
Pigneau, marchand bourrelier demeurant rue Saint-Victor n° 77 vis-à-vis
l'église de l'Abbaye", cité par H. Burstin[82]
comme membre du bureau de bienfaisance de la paroisse
Saint-Nicolas-du-Chardonnet en 1791, est exemplaire : il intervient une fois
comme témoin dans une affaire tutelle en 1793, une fois comme demandeur dans un
conflit de mitoyenneté et dix fois comme propriétaire de la maison qui
appartient à sa femme au n° 20 de la rue des Boulangers ou comme principal
locataire de la maison où il habite avec sa femme rue Saint-Victor. Sa situation
économique semble donc en partie liée à ses revenus immobiliers, révélés ici
par les procès qu'il intente, souvent avec son épouse, contre ses locataires ou
sous-locataires récalcitrants.
Le
travail du bois, en dehors des métiers du bâtiment précisés plus haut, est ici
représenté par 3 tonneliers, 2 tourneurs et 1 scieur de long. Les premiers et le dernier sont évidemment en
rapport avec les activités portuaires (trafic du vin et du bois).
Les
tonneliers interviennent toujours
comme témoins en justice gracieuse. Seul, "le sieur Jean-Baptiste
Lemaire, maître tonnelier demeurant rue Saint-Victor chez Monsieur Lefebvre,
pâtissier, n° 119", par ailleurs témoin dans une autre affaire, est présent pour un
problème concernant son métier. Le 4 janvier 1791[83],
il est accusé par "le sieur Jean-François
Mortier, garçon tonnelier demeurant à l'hospice de la Charité, faubourg
Saint-Germain"
de lui devoir "une somme de douze livres huit sols
restant de celle de vingt et une livres treize sols pour cinquante-deux jours
de travail du quinze octobre au quinze décembre derniers, à raison de cent
cinquante livres par an". Ce texte apporte des renseignements intéressants sur
les conditions de travail et de rémunération des "garçons" de ces
emplois artisanaux. Sur les 61 jours de la période, ce "garçon
tonnelier" a travaillé 52 jours : en faisant abstraction dans ce décompte
des 9 dimanches non ouvrés, il a donc travaillé tous les jours de la semaine.
Sa rémunération est établie sur une base annuelle et non quotidienne, comme
celle des compagnons ; se montant à environ dix sols par jour, elle est
d'ailleurs nettement inférieure à celle de ces derniers, presque toujours
supérieure, à la même époque, à deux livres[84].
Le juge confirme le bien fondé de la demande en condamnant l'employeur à verser
immédiatement le salaire dû et aux dépens.
Les
tourneurs cités ici semblent
rencontrer des difficultés pour se faire payer leur travail par d'autres
artisans qui recourent à leurs services. Ainsi, le 28 février 1791[85],
le "sieur Charpentier, maître tourneur demeurant
rue Saint-Victor"
réclame au "sieur Baron, maître charron, demeurant
Nouvelle Place aux Veaux (…) une somme de vingt et une
livres pour le prix de son ouvrage et fournitures, sauf à tenir compte de cinq
livres dix-sept sols pour six bottes et demie de bois fournies par Baron à
raison de dix-huit sols la botte" ; après discussion sur le montant de la somme, le
défendeur est condamné à payer 12 livres et aux dépens.
Quant
au scieur de long, sans doute
employé dans l'un des "chantiers" qui existent entre la rue
Saint-Victor et le quai Saint-Bernard, il n'intervient que comme témoin en
justice gracieuse.
Les 4 autres métiers artisanaux recensés sont représentés par 4 salpêtriers, 2 chandeliers, 1 cirier et 1 cordier. Les premiers, organisés en communauté depuis 1658, ont un rôle essentiel tant dans l'assainissement des immeubles, notamment dans les caves, que dans l'approvisionnement en matière première des arsenaux[86]. L'un d'entre eux, à travers un incident relaté devant le bureau de paix et de conciliation, est mis en cause en raison de sa profession. Le 4 avril 1791[87], le "sieur Camuset, salpêtrier demeurant rue Saint-Victor" accepte de dédommager le "sieur Arbeltier demeurant rue du Jardin du Roi, face à la rue Buffon (…) en raison de l'accident qui lui est arrivé par l'effet de son charretier" ; la somme totale est fixée à 106 livres et sera versée selon un rythme précis : "1° trente livres qu'il lui paiera le neuf avril ; 2° 30 livres le samedi en quinze ; 3° six livres de mois en mois à partir du premier mai pendant six mois". Les trois autres interviennent pour des affaires indépendantes de leur profession. Il en est de même pour les chandeliers. Mais c'est à propos de l'aspect commercial de leur entreprise que le cirier et le cordier sont présents devant le juge de paix. Le 16 mars 1794-26 ventôse an II[88], "les citoyens Claude Madot, demeurant rue Victor n° 13 et Alexandre –François Madot, son fils demeurant rue Montorgueil n° 67, tous deux ciriers" demandent aux "ci-devant marguilliers de la ci-devant paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, les citoyens Hubert Ligneux, ancien procureur au ci-devant parlement de Paris, demeurant rue des Bernardins n° 40, Jean-Baptiste Sergent, demeurant quai Bernard, André-Gabriel Rainville , marchand de bois demeurant quai Bernard, et Jean-Jacques Gallet demeurant rue des Bernardins" de certifier qu'ils ont bien livré "des fournitures faites à la paroisse entre le 4 mai 1786 et le 15 juillet 1791", ce que confirme "le citoyen Nicolas Blay, imprimeur demeurant rue Victor et ci-devant agent de la ci-devant fabrique de la ci-devant paroisse (…)". Il s'agit là de la preuve reconnue de ce que pouvait représenter l'église parisienne parmi la clientèle de ces ciriers.
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Il
est représenté par 18 professions différentes exercées par 45 habitants.
En
ce qui concerne les personnes faisant
profession religieuse, la présence, dans la rue et dans ses abords
immédiats, de l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet et de trois établissements
monastiques (l'ancienne abbaye des Bernardins, l'abbaye Saint-Victor et le
Séminaire Saint-Firmin) explique la citation dans le corpus de 2 abbés, de 4 vicaires et d'1 organiste.
Le
cas du "sieur abbé Cordier de Saint-Firmin, agent
général de la Société nationale des Neuf Sœurs[89]" est particulièrement
intéressant car il aborde, exceptionnellement dans ces minutes de la justice de
paix, une affaire à résonnance politique. En effet, le 7 mars 1791[90],
cet important personnage est accusé par "le sieur Louis-Joseph
Auguste Eynaud, homme de loi et l'un de nos assesseurs" d'avoir mis en cause
son élection comme assesseur du juge de paix devant le commissaire de police de
la section : "le sieur abbé Cordier est convenu à
l'audience avoir dit, en la salle du Comité de cette section, au sieur Naudin,
commissaire de police, et ce en présence de plusieurs personnes, qu'il avait
des motifs de plainte assez graves contre ledit sieur Eynaud pour être étonné
qu'il fût assesseur". Remettant ainsi en cause l'événement politique que constitue
cette longue procédure électorale[91],
l'abbé se trouve dans une situation d'autant plus délicate que l'affaire a déjà
été portée entre les parties devant une juridiction criminelle, celle du
Châtelet : c'est d'ailleurs pourquoi le juge de paix acquiesce à la requête de
son assesseur impliqué qui "a demandé qu'il fût sursis sur
le délibéré (…)
jusqu'au jugement du procès commencé au ci-devant Châtelet
de Paris, lequel procès il avait déclaré, par son acte du douze du présent mois,
vouloir poursuivre devant les nouveaux tribunaux[92]".
Quant
au "sieur abbé Lekel, demeurant au séminaire Saint-Firmin
rue Saint-Victor",
il comparaît le 18 novembre 1791 avec "le sieur Jacques
Ravanel dit Bayeux, ci-devant domestique du sieur Etienne Lekel", ce dernier réclamant
à son ancien maître "une somme de trois cent
cinquante quatre livres (…) pour restant de gages et
salaires"
; après discussion, l'ancien abbé est condamné à verser à son ancien domestique
"une somme de deux cent quatre-vingt huit livres
dix sols (…) pour
solde de tout compte, y compris le montant de toutes les emplettes faites par
lui pour le sieur Lekel et de toutes les fournitures à lui faites pour le
compte dudit sieur Lekel, notamment par le boucher, le boulanger, le marchand
de vin, le charcutier". La qualification "professionnelle" et le prénom de cet
ancien abbé sont rayés dans le texte, comme si ces éléments de reconnaissance
devaient être désormais effacés de l'identité de l'individu : il est possible
de voir là une forme de sécularisation officielle de la fonction religieuse des
membres de l'ancien premier ordre du royaume …
L'atmosphère
fraternelle ne semble pas régner au sein de la communauté du séminaire
Saint-Firmin puisqu'un procès oppose, le 10 septembre 1791[93],
l'un des vicaires de la paroisse
"le sieur Jean-Pierre François Larigot, prêtre
vicaire de la paroisse St Nicolas du Chardonnet demeurant à Paris au Petit
Séminaire St-Nicolas rue St-Victor" à trois de ses confrères "les
sieurs Denis Thiebault, Joachim Surbled et Jean-Joseph Coquelle, tous trois
aussi vicaires de la même paroisse et demeurant au même Séminaire". Ces derniers
refusent l'enlèvement de "deux matelas et un trumeau de
cheminée"
achetés par le premier à un marchand fripier, "le
sieur Pierre Joseph Lefebvre, marchand fripier a Paris y demeurant rue et
montagne Saint-Geneviève", au motif qu'il a envers eux des dettes qu'il refuse
de leur rembourser ; un quatrième créancier, "le
sieur Etienne Coste marchand de vin traiteur à Paris y demeurant rue St-Victor" se joint à la plainte
pour des raisons identiques. Larigot reconnaît les dettes, et le fripier peut
reprendre possession des objets qu'il lui avait vendus "pour une somme de
cent livres" et qu'il n'avait jamais payés. Cette affaire n'implique donc
pas l'exercice des fonctions exercées par cet ecclésiastique mais met seulement
en cause la fiabilité de ses engagements financiers.
L'organiste cité dans les textes, "le
sieur Ménard, demeurant rue Saint-Victor n° 58" est accusé, le 24 avril 1791[94],
avec sa femme, par "le sieur Véron, doreur sur
métaux et la dame Elisabeth, son épouse, demeurant rue Saint-Victor n° 58" d'avoir "proféré
des injures et calomnies contre lesdits sieur et dame Véron et les demoiselles
Véron, leurs filles" ; au cours de l'audience, les parties se rejettent l'accusation
et, sur l'insistance du juge de paix, se rétractent mutuellement de leurs
griefs et sont mis hors de cause, dépens compensés entre eux.
Aucun
des 11 employés d'administration habitant
dans la rue n'est présent pour des raisons professionnelles. Si trois d'entre
eux ne sont qualifiés que comme "employé" ou "commis", les trois autres
sont désignés par la spécialité de leur emploi administratif : Etienne
Deschamps "employé à l'administration des loteries", Joseph Dornard
"employé aux contributions publiques", Jacques Girardot
"ex employé aux barrières" puis "employé
aux fermes",
Jean-Baptiste Guiroux "commis marqueur dans les
chantiers de bois", Jean Lacage "employé à la Grande Poste", Alexandre Lallier
"commis à l'administration des brouettes", Gabriel-Gaspard
Lefebvre "commis à la ferme des tabacs" et Charles-Pierre
Mauroy "commis au bureau de la marque des couvertures". La multiplicité et
l'identité de ces divers emplois témoignent de la complexité d'une
administration qui se trouve à la croisée de l'ancien et du nouveau régime
administratif de la France, en particulier à Paris.
Les
professions liées à l'enseignement
sont représentées par 4 maîtres d'école,
2 professeurs, 1 instituteur et 1 étudiant.
Un seul d'entre eux intervient pour un motif lié à l'exercice de son métier. Il
s'agit du "sieur Urbain Leroux, maître d'école demeurant
rue Saint-Victor"
qui réclame au "sieur Nicolas Chéret, garçon de chantier
du sieur Cagnon, marchand de bois, demeurant rue de Seine Saint-Victor (…) une
somme de quatorze livres à lui due pour avoir enseigné et instruit les enfants
dudit sieur Chéret pendant plusieurs mois" ; après discussion, la somme est ramenée par le
juge à 6 livres que le défendeur paie immédiatement. Si le texte précise bien
le type de travail effectué par ce maître d'école, il reste peu explicite quant
aux conditions réelles de l'exercice de cette profession qui reste une
prestation de services payante pour les usagers. Quant au "sieur
Cotteret, étudiant demeurant rue Saint-Victor ou rue du Cardinal Lemoine", c'est de sa
condition sociale et économique qu'il est un peu question dans le procès qui
l'oppose au "sieur Louis-Marie Baillier, marchand
fripier demeurant rue des Prêcheurs" : ce dernier lui réclame "une
somme de vingt-neuf livres quatre sols pour prix d'habits et vêtements vendus" mais consent à
déduire de la somme "cinq livres quatre sols pour
le prix d'un bonnet carré et de deux gilets" que le vendeur a repris. L'étudiant, au
domicile apparemment changeant, se fournit en habits chez un fripier, ce qui
n'est pas le signe d'une opulence excessive …
Les
activités liées à la santé sont
représentées par 3 chirurgiens et l'économe de l'hôpital général de la Pitié,
situé à l'extrême sud de la rue Saint-Victor. Les trois chirurgiens ne sont
présents qu'une seule fois chacun, comme témoins en justice gracieuse. Il en
est de même, à trois reprises, pour "le citoyen Jacques-Georges
Desmagny, économe de l'Hôpital général de la Pitié" qui agit néanmoins
une fois comme "représentant du département de Paris" dans une affaire de
loyer impayé, le 28 janvier 1793 : "le sieur Durand,
principal locataire d'une maison rue Traversine" demande l'autorisation de faire vendre "par
un tapissier nommé par le juge (…) les effets laissés dans une
chambre au troisième étage par le défunt citoyen Henri Augustin Davoue qui a
laissé une héritière unique en la maison de la Salpètrière" afin de récupérer
"une somme de dix livres pour un terme de la
chambre".
L'économe donne son accord en tant que "représentant du
département de Paris" et "tuteur des enfants placés dans ses
hôpitaux".
La justice est représentée dans la rue par
3 hommes de loi et 1 huissier de justice. L'un des hommes
de loi, "le sieur Jean-Baptiste Lemoine, homme de loi demeurant
rue Saint-Victor, au Buisson Ardent, numéro 61", est très souvent cité sur les minutes, dans la
mesure où, jusqu'en novembre 1792[95],
il est assesseur du juge de paix et indiqué comme tel dans le préambule des
actes. Comme son frère, "conseiller au ci-devant
Châtelet"
qui demeure avec lui et qu'il représente à deux reprises, il intervient cinq
fois pour les mêmes raisons : il s'agit d'obtenir l'expulsion de certains des
locataires qui demeurent dans l'immeuble dont la famille Lemoine est
propriétaire. Par ailleurs, le 12 mars 1792[96],"le
sieur Rigobert Marmottant, homme de loi demeurant rue Saint-Victor" est accusé, en bureau
de paix et de conciliation, par "le sieur Jean-François
Fournel, homme de loi demeurant rue des Bernardins" de lui devoir de
l'argent et "certaines pièces" à l'occasion de la
vente d'une maison "au village de La Rue" ; la conciliation ne
peut se faire, Marmottant ne se présentant pas chez le juge de paix. Quant à
l'huissier de justice, Henri-Charles Malgras, il est, lui aussi, très souvent
cité, dans la mesure où c'est à lui que revient la charge de porter aux parties
les exploits concernant les affaires qui relèvent de la justice de paix ; la
formule qui le concerne est souvent ainsi rédigée : "Malgras,
huissier commis pour notre juridiction". Il n'intervient qu'une seule fois, le 25 août
1795-8 fructidor an III[97],
en tant que témoin dans une affaire de tutelle, cet acte précisant son domicile
"rue Victor, n° 38".
7 imprimeurs (dont un compagnon)
habitant la rue sont présents devant le juge de paix au cours de la période. Un
seul d'entre eux est cité pour une affaire concernant l'exercice de son métier.
Il s'agit du "sieur Deschamps, imprimeur en papiers
peints demeurant rue Saint-Victor au Cheval Blanc". Le 25 juin 1792[98],
il est accusé par "le citoyen Pierre Guérin,
garde à la Salpêtrière demeurant rue Mouffetard" d'avoir "maltraité son fils qui
était à travailler chez lui en qualité d'ouvrier en papiers peints, le 12 juin
courant, en le frappant de plusieurs coups de bâton sur le corps avec effusion
de sang et le frappant sur la tête (…) et l'a blessé à l'oreille
gauche, lui a meurtri le bras gauche et lui a donné des coups sur les doigts de
la main droite, le rendant hors d'état de travailler d'ici à très longtemps". L'accusé, représenté
par sa femme, ne comparaît pas à l'audience suivante et est condamné par défaut
à verser au plaignant "une somme de douze livres, y
compris les frais de chirurgien" ainsi qu'aux dépens. Cette affaire renseigne plus sur
le caractère irascible du personnage que sur les conditions de travail
proprement dites de la profession.
Participent de cette même catégorie "intellectuelle" un mathématicien et un écrivain, un artiste peintre. Le mathématicien Jean-Bernard Dencausse intervient deux fois à titre de témoin dans des affaires de tutelle. L'écrivain Joseph Guinon, qui demeure "rue Saint-Victor chez monsieur Leurdeux" se trouve impliqué, le 11 juin 1792[99], dans une affaire d'injures réciproques avec son voisin Jean-Baptiste Mercier, cordonnier ; les parties sont mises "hors de procès" par le juge de paix. Aucun des deux n'est donc comparant pour des problèmes liés à la profession qu'ils exercent.
Alfred
Franklin divise en quatre classes les
gagne-deniers[100].
Au nombre de 22 dans les minutes de
la justice de paix dépouillées ici, leur spécialité n'est pas définie
précisément dans les minutes de la justice, même si, apparemment, certains
d'entre eux exercent en fait des métiers de débardeurs ou de porteurs,
notamment sur les ports, en concurrence avec d'autres individus qualifiés comme
tels.
Deux
d'entre eux sont témoins dans des affaires familiales.
Dans
dix affaires, ils sont cités devant le juge de paix comme locataires ou
sous-locataires dans des chambres qu'ils doivent quitter, souvent avec leur
femme et leurs enfants, faute de paiement des loyers dus aux propriétaires ou
aux principaux locataires. Ici est visible l'extrême errance de ces
travailleurs manuels qui ne peuvent que subvenir avec peine à leurs besoins les
plus immédiats.
Enfin,
dans neuf cas, ils participent, directement ou indirectement à des voies de
fait ou de paroles à l'encontre de leurs contemporains. Par exemple, le 20
juillet 1792[101],
"le sieur Jean-Baptiste Villeret, gagne-denier
demeurant rue Saint-Victor dans la maison de monsieur Henry" est accusé par "le
sieur Paul Champeaux, porteur d'eau demeurant rue Saint-Victor, au Bureau des
brouettes"
de l'avoir injurié et agressé physiquement, pour une raison non établie ;
Villeret argue d'un "moment de vivacité" pour expliquer son
acte : le juge lui fait "défense de récidiver" et le condamne aux
dépens.
Figurent
dans la même catégorie 13 journaliers,
qu'Alfred Franklin définit seulement comme
"Ouvriers
qui travaillent à la journée"[102].
Comme
les gagne-deniers, ils ont essentiellement affaire à la justice pour des
problèmes de loyers impayés ou pour des participations, individuelles ou
collectives, à des agressions verbales ou physiques, à l'exception de deux
d'entre eux qui sont appelés comme témoins dans des actes de justice gracieuse.
Ici encore n'apparaît aucun élément susceptible de préciser la nature du
travail effectué par ces ouvriers, sinon qu'ils sont sans qualification
particulière et que leurs faibles ressources les met souvent à la merci
d'expulsion de leur logement.
Plus
précisés dans leur activité professionnelle apparaissent les 6 ouvriers sur les ports qui, à un
moment ou à un autre, se trouvent confrontés à la justice de paix. Eux aussi
sont cités pour des problèmes de location ou des voies de fait.
L'un
d'entre eux intervient néanmoins à propos de l'exercice de son métier, qui
consiste ici à effectuer la garde de nuit de bateaux. Le 30 mai 1791[103],
"le sieur Doix, ouvrier sur les ports demeurant
rue Saint-Victor"
assigne devant le juge de paix "le sieur Garonne,
garçon de chantier de monsieur Cagnon, marchand de bois, demeurant quai
Saint-Bernard"
et exige que son adversaire lui verse
"une somme de 24 livres, à savoir quinze livre
pour avoir gardé et veillé les bateaux chargés de bois appartenant audit sieur
Cagnon pour le compte et par ordre dudit sieur Garonne (…) dans
le courant du présent mois, à raison de vingt sols par chaque nuit, plus celle
de neuf livres pour le prix d'un chapeau dans lequel ledit sieur Garonne a fait
ses ordures".
Le marchand de bois et des témoins sont entendus lors de l'audience suivante et
Garonne est condamné finalement à verser à Doix une somme de 12 livres (que son
employeur "à titre de bienfaisance" paie à sa place)
ainsi qu'aux dépens qui se montent alors à 8 livres. Derrière la cocasserie de
l'affaire se profile la complexité des relations qui peuvent exister entre les
employeurs et les ouvriers du port ainsi que le rôle que peuvent jouer des
intermédiaires comme les garçons de chantier ou autres commis préposés au
fonctionnement des entrepôts contigus aux ports.
Quant
au balayeur, dont on ignore s'il est
employé par l'administration municipale (ce qui est le plus vraisemblable) ou
par des particuliers, il fait partie de la cohorte des petites gens qui sont obligés
de quitter leur logement par manque de moyens financiers réguliers : il
n'intervient qu'une seule fois à ce titre.
Au total, ces "prolétaires", moins souvent demandeurs (12 occurrences) que défendeurs (25 occurrences) et parfois témoins dans des affaires d'ordre familial, sont particulièrement victimes de la rareté et de la cherté des logements ; par ailleurs, ils se trouvent impliqués à plusieurs reprises dans des conflits de voisinage qui les amènent à user de voies de faits contre leurs contemporains ; enfin, quelques rares affaires font apparaître les relations socioprofessionnelles qu'ils entretiennent avec leurs employeurs.
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Par
ordre d'importance quantitative décroissante sont recensés dans ce corpus 4 porteurs d'eau, 3 jardiniers, 3 domestiques,
2 maîtres de pension, 2 logeurs, 2 gendarmes, 1 facteur à la
Petite Poste, 1 nourrisseur de
bestiaux et 1 portier au Séminaire
Saint-Firmin.
Aucun
des porteurs d'eau n'est cité pour
des faits concernant leur profession : un témoignage en justice gracieuse, deux
rixes et une affaire de loyer impayé les amènent devant le juge de paix.
Deux
des jardiniers sont cités pour des
affaires en rapport avec leur métier. Le 28 mai 1791[104],"le
sieur Didier Ferry, jardinier de l'abbaye Saint-Victor" se voit réclamer par
sa logeuse, "la demoiselle Jeanne Joanny, veuve du
sieur Joseph Dunot, maître bourrelier demeurant rue de vis-à-vis la ci-devant
abbaye Saint-Victor, principale locataire de la maison attenante à celle où
elle demeure et qui porte le n° 72 (…) une somme de cinquante livres
pour deux termes de loyer échus plus celle de vingt-cinq livres pour terme à
échoir à la Saint-Jean prochain" ; le débiteur s'engage à verser à la demanderesse,
avec son accord, "cinquante livres sur le
quartier de gages de cent livres que lui doit la municipalité de Paris, et
ainsi pour les autres termes" : 1e personnage est donc employé de la municipalité
pour l'entretien des biens nationalisés de la ci-devant abbaye et attend de son
employeur le versement de ses "gages" qui se montent donc à la somme
de 400 livres par an : ce travail de jardinier au service de la ville de Paris
n'est donc pas très bien rémunéré et représente seulement le double de ce que
doit payer l'ouvrier pour son seul logement. Il en sera de même, avec les mêmes
personnages, le 2 avril 1792[105],
Ferry s'engageant encore à régler sa dette dans les mêmes conditions. Dans une
autre affaire, le 24 octobre 1791, "le sieur Menestrier,
jardinier demeurant à Paris rue Saint-Victor, vis-à-vis l'église" réclame au "sieur
Duval, maître chapelier, demeurant rue Saint-Victor, vis-à-vis le Cheval Blanc (…) une
somme de dix-sept livres pour prix, salaires et fournitures de graines et
fleurs, ouvrage et entretien du jardin sis rue des Boulangers, pendant l'espace
de six mois"
: la somme ainsi réclamée, correspondant à un travail et des fournitures
pendant une demi-année n'est pas un pactole enviable et confirme les faibles
revenus dont pouvaient disposer ces jardiniers, qu'ils soient les salariés de
la collectivité publique ou les prestataires de services à des particuliers.
Une
petite affaire de détournement de fonds met en scène, le 26 décembre 1791[106],
le dénommé "Pierre Parent, domestique demeurant ci-devant chez le
sieur Anselme, maître de pension demeurant enclos Saint-Victor, de la maison
duquel il vient de sortir à l'instant" est accusé de devoir à "la
demoiselle Geneviève Louise Henriette Fessard, femme du sieur Jean-Pierre
Michel Tastin, marchand épicier demeurant rue Saint-Victor vis-à-vis la rue de
Seine (…) une
somme de douze livres pour marchandises qu'il a déclaré prendre pour le compte
du sieur Anselme, mais que celui-ci lui a payées". L'indélicat serviteur est condamné à verser la
somme due à la commerçante et à payer les dépens. Est-il possible de voir là un
comportement habituel de ces domestiques parisiens étudiés précisément par
Daniel Roche ? Il serait imprudent d'extrapoler à partir de ce seul exemple …
Le
même sieur Louis Anselme, maître de
pension, intervient à cinq reprises devant le juge de paix : il éprouve
manifestement de grandes difficultés pour subvenir à ses besoins. Ici, c'est un
de ses élèves dont les parents refusent de payer la pension ; là c'est la forme
du paiement qu'il doit contester, les assignats dus ne correspondant pas, à ses
yeux, à la valeur de ses prestations ; et il a du mal à obtenir de son tailleur
la livraison d'un vêtement qu'il voulait payer par l'échange de vieux habits.
Ce
sont, à l'évidence, des conflits liés à des locations qui expliquent la
présence des deux logeurs dans le
corpus : tous les deux réclament à leurs clients de quitter, pour l'un, la
chambre qu'il lui a louée, et, pour l'autre une salle et une cave dans
lesquelles ont été déposés des objets.
Si
l'un des gendarmes cités
n'intervient qu'à propos d'une location cédée à un de ses voisins, l'autre fait
l'objet d'un procès verbal de décès établi par le juge de paix, à la demande de
sa veuve, à la suite des événements de septembre 1792 à Paris. Le texte est
assez intéressant pour que sa transcription soit présentée dans son intégralité
en annexe de la
présente étude. Il s'agit là d'une des victimes "collatérales" des
"massacres" de septembre 1792, sans que soit connue la cause ni les
circonstances exactes du décès de ce lieutenant de gendarmerie.
C'est
pour avoir rompu un contrat d'apprentissage qui liait son enfant à un cordonnier
que "le sieur Pierre Moreux, facteur à la Petite Poste demeurant rue Saint-Victor au coin de
celle de Versailles" se présente devant le tribunal, le 13 juillet 1792[107].
L'affaire est d'ailleurs renvoyée "par devant les juges
qui en doivent connaître", le juge de paix n'étant pas compétent pour ce type de
conflit de travail.
La
présence du "sieur Roche, nourrisseur de bestiaux demeurant rue Saint-Victor" est intéressante dans
la mesure où elle fait apparaître l'une des formes du commerce du lait à Paris
à la fin du 18ème siècle. En effet, Alfred Franklin[108]
rappelle le rôle important que jouaient ces professionnels dans l'alimentation
en viande de Paris :
"Nourrisseurs. L'avocat
barbier dit qu'en 1745, on nourrissait dans Paris et ses faubourgs plus de
quatre mille vaches. Les bestiaux qu'on y consommait venaient de
l'Île-de-France, de la Brie, de la Beauce, du Perche, du Vexin, de Normandie,
de Picardie, de Bretagne, de Poitou, de Berri, de la marche, du Limousin et
quelque peu d'Auvergne (…)".
Mais
il ne fait pas mention du lait que pouvaient produire ces vaches avant leur
abattage en boucherie. Or le procès que le dénommé Roche intente le 10 octobre
1791[109]
contre "le sieur Chapuis, frotteur à Paris y demeurant
rue Saint-Victor au Buisson Ardent" porte entre autres sur "une
somme de quarante trois livres, seize sols six deniers dus (…) pour
fourniture de lait depuis le quinze septembre". Ces nourrisseurs font donc commerce de ce
sous-produit des vaches qu'ils nourrissent dans la capitale, en concurrence,
semble-t-il, avec les "laitières" décrites par Louis-Sébastien
Mercier dans son Tableau de Paris[110]
:
"(…) Les laitières
arrivent le matin, jettent leur cri accoutumé : La laitière, allons, vite! Aussitôt les petites filles à moitié
habillées, en pantoufles, les cheveux épars, s'empressent de descendre de leur
quatrième étage, et chacune de prendre pour deux ou trois liards de lait. Si
les laitières manquaient d'arriver à l'heure, ce serait une famine dans les
déjeuners féminins. A neuf heures, tout le lait aqueux est distribué (…).
Quant
au "citoyen Briou, portier du Grand Séminaire Nicolas rue Victor", il comparaît, le 27
octobre 1794-6 brumaire an III, avec son épouse, parce que cette dernière a
échangé des injures avec "la citoyenne Françoise
Gabrielle Godusieur, femme Laveau" à propos d'une place, devant ledit séminaire que ces
dames prétendent occuper pour vendre leurs marchandises respectives. Tel
Salomon, le juge de paix leur intime l'ordre de ne pas récidiver, de ne pas
"faires des malpropretés" sur la voie publique
et les renvoie, dépens compensés entre elles. La profession du comparant n'a
guère de relation avec l'objet du litige, si ce n'est que l'algarade se passe
devant l'édifice dont Briou est le portier.
Au
total, ces activités et professions diverses exercées par des habitants de la
rue ne sont que très partiellement l'objet des interventions des plaideurs,
même si certaines d'entre elles sont précisées sous la plume du greffier.
En conclusion, les minutes de la justice
de paix donnent des indications sur les professions exercées par un certain
nombre des riverains de cette rue populeuse et populaire. Mais, dans de
nombreux cas, ceux-ci n'interviennent pas pour des raisons liées à ces
professions et les conditions dans lesquelles elles sont pratiquées restent,
pour l'essentiel, hors de la compétence et de l'intérêt du juge de paix.
Mais
peut-être en est-il différemment en ce qui concerne les femmes de la rue qui
exercent un métier ?
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Dans
le second tableau de cet article, sur les 302 femmes recensées dans la rue pour
l'ensemble du corpus étudié, 49 sont qualifiées comme exerçant un métier, soit moins
d'un sixième d'entre elles (16,23%). Malgré la difficulté rencontrée, comme
pour les hommes, à définir une classification rigoureuse des métiers ainsi
exercés, il est possible de regrouper en 6 catégories principales les
professions de ces femmes :
Répartition des professions des femmes de la rue Saint-Victor
Travail et commerce des textiles et annexes
23
Alimentation
10
Santé et annexes
4
Prolétaires
6
Divers
6
Par
commodité, seront distingués deux ensembles relatifs à ce secteur : celui du
travail et de l'entretien du textile et celui du commerce auquel ce travail
peut donner lieu.
La production et l'entretien
des textiles sont représentés par de nombreux métiers parmi lesquels la première
place est tenue par les blanchisseuses
Dans
cette seule rue Saint-Victor, 7
blanchisseuses interviennent, dont l'une est qualifiée de "maîtresse
blanchisseuse"
; à l'exception de l'une d'entre elles, qui est précisément en conflit avec
cette "maîtresse", le greffier n'indique pas si elles sont artisanes
indépendantes ou employées.
Parmi
les 16 affaires qui les concernent, 7 ont trait à des loyers impayés suivis
d'expulsions : ces femmes (et leur famille) ne peuvent souvent pas payer leur
loyer. C'est notamment le cas de la la dame (puis veuve) Gogue, expulsée à trois
reprises, en 1791, 1792 et 1794, des chambres qu'elle occupe chez différents
propriétaires ou principaux locataires.
C'est
à l'occasion de l'exercice de leur métier que ces femmes ont aussi affaire à la
justice. D'une part, elles peuvent se voir réclamer du linge qui leur a été
confié et qu'elles ont égaré ou retenu pour diverses raisons. Par exemple, le
31 janvier 1793[111],
"la citoyenne Anne Georgin, femme du citoyen
Doria, blanchisseuse demeurant rue Saint-Victor n° 56" est accusée d'avoir
retenu "des hardes et linges à elle confiées par la
citoyenne Geneviève Ragon, femme du citoyen Georgin, demeurant rue de la
Huchette n° 53".
D'autre
part, certaines de ces blanchisseuses doivent à leurs employées des salaires
comme, le 9 mars 1792[112],
lorsque "la demoiselle Madeleine Rougeot, fille majeure,
blanchisseuse, demeurant rue Saint-Victor à la Maison Blanche, chez le sieur
Lepage, logeur"
réclame à "la demoiselle Louise Cousin, femme du sieur
Etienne Blondeau, menuisier, et elle maîtresse blanchisseuse, même adresse (…) une
somme de six livres dix sols pour restant de journées de travail et la remise
d'une chemise et de six mouchoirs appartenant au frère de ladite Rougeot [ainsi que] deux chemises, trois
mouchoirs de col, six mouchoirs de poche, trois paires de bas de coton, deux
bonnets ronds, une paire de poches et deux bonnets piqués appartenant à ladite
demoiselle Rougeot et laissés chez ladite demoiselle Cousin" ; le juge oblige la
défenderesse à payer 2 livres et 5 sols pour les salaires dus et à rendre
"avant lundi prochain" les effets retenus
par elle.
Enfin,
ces blanchisseuses réclament à leurs clientes le prix du travail qu'elles ont
effectué pour elles, comme le 3 août 1794-16 thermidor an II, lorsque "la
citoyenne Marie-Anne Blondée, veuve Gobert, blanchisseuse demeurant rue Victor
n° 53"
réclame à "la citoyenne Claudine Bruant, femme du citoyen
Paul Bernard, demeurant rue Victor (…) une somme de soixante dix-huit
livres dix-neuf sols pour blanchissages en plusieurs fois, suivant le mémoire
fourni, depuis le mois de décembre dernier jusqu'à la fin juillet" ; l'affaire est
reprise lors de l'audience qui a lieu dix jours plus tard, avec les témoignages
des ouvrières de la blanchisseuse.
Le
cas d'une fille de journée travaillant pour l'une de ces blanchisseuses mérite
une mention particulière dans la mesure où leurs relations professionnelles
sont évoquées. Le 13 août 1795-26 thermidor an III, "sont
comparus la citoyenne Charlotte, veuve de Jean-Louis, blanchisseuse rue Victor
numéro cent seize, demanderesse d'une part et la citoyenne Jeanne Placet, femme
Voileau menuisier, d'autre part. Lesquelles nous ont exposé se présenter
volontairement et sans citation relativement à un drap donné à blanchir par la
demanderesse à la défenderesse (…) la demanderesse nous a exposé
que la citoyenne Voileau était sa fille de journée ; qu'elle lui blanchissait
gratuitement son linge avec celui de ses pratiques ; que la citoyenne Voileau
elle-même le blanchissait et y veillait ; et que, malgré les soins de l'une et
de l'autre, elle avait été volée d'une partie du linge de ses pratiques et le
drap de la citoyenne Voileau s'était trouvé aussi volé. Nous juge de paix, de
l'avis de nos assesseurs, après avoir opiné à haute voix, attendu que le drap
dont il s'agit ne s'est trouvé entre les mains de la défenderesse que pour le
blanchir gratuitement et pour rendre service à la demanderesse et qu'il s'est
trouvé enlevé sans qu'il soit de la faute de la défenderesse (…)". Cette fille de
journée est donc elle-même à la fois une employée de maison et une auxiliaire
de la profession exercée par sa maîtresse qui la rétribue sans doute en partie
en blanchissant "gratuitement" son linge.
Ainsi,
les minutes de la justice de paix donnent quelques indications sur la
profession exercée par ces blanchisseuses demeurant rue Saint-Victor, notamment
en ce qui concerne leurs relations avec leurs clientes ou avec leurs salariées.
Deux
couturières sont présentes dans le
corpus. L'une d'entre elles est sous-locataire et doit quitter sa chambre
"au troisième étage, rue Saint-Victor, vis-à-vis
celle du Paon"
et payer les loyers dus au principal locataire de la maison. Le 25 mai 1794-29
floréal an II[113], "la
citoyenne Marguerite Favet, couturière demeurant rue Victor n° 133" réclame au père de son
apprentie, "le citoyen Pierre Notot, jardinier
demeurant rue des Boulangers n° 32 (…) une somme de cent livres pour
l'inexécution des conditions portées dans l'acte d'apprentissage de sa fille". L'apprentie en
question a quitté sa maîtresse et est partie "six
mois avant la fin de l'apprentissage (…) pour les mauvais traitements
qu'elle avait subis" ; le juge fixe à 72 livres le montant de l'indemnité due pour
cette rupture du contrat d'apprentissage sauf si le père décide de "renvoyer
sa fille chez la citoyenne Favet". Le coût de l'apprentissage d'une jeune couturière est
donc évalué à 12 livres par an à Paris.
Les
autres femmes dont la profession est liée au travail ou à l'entretien du
textile, 2 ouvrières en linge, 1 brodeuse, 1 ouvrière en couverture, 1
ouvrière en linge, 1 cardeuse en
matelas et 1 faiseuse de mules du
Palais, comparaissent en justice de paix pour des causes qui n'ont pas de
rapport immédiat avec l'exercice de leur profession : dettes ou prêts d'argent
et expulsions locatives forment le lot commun de ces travailleuses.
Dans la rue Saint-Victor, 3 revendeuses sont recensées. Leur réputation commune, si l'on en
croit Louis-Sébastien Mercier[114],
est sujette à caution. Celles dont il s'agit dans les minutes ne semblent pas être parvenues au haut
de l'échelle sociale : elles sont toutes les trois débitrices envers les
propriétaires des chambres qu'elles occupent et sont obligées de quitter leur
domicile en payant les arriérés de loyer.
Une
marchande d'habits a perdu un
vêtement vendu à une cliente et doit le rembourser. Une marchande fripière a emprunté de l'argent qu'elle doit rembourser. Enfin,
une marchande mercière, "la
citoyenne veuve Billet (…) demeurant rue Saint-Victor" est chargée d'établir
un mémoire concernant des achats faits pour le compte d'un marchand épicier de
la rue ; elle doit se faire aider par ses deux
filles de boutique, dont l'une est sa propre nièce : les contestations sur
les transactions commerciales sont ici partiellement évoquées, le juge de paix
n'ayant pas compétence sur ce type d'affaires.
Les minutes de la justice de paix donnent donc quelques aperçus sur les pratiques et les problèmes de ces professionnelles du textile, l'essentiel de leur présence devant le juge concernant cependant plus leurs affaires personnelles que celles qui ont trait à l'exercice de leur métier.
Devant
le juge de paix, 3 fruitières
habitant la rue Saint-Victor comparaissent. Si l'une d'entre elle n'apparaît,
comme défenderesse, que pour une dette de loyer, les deux autres interviennent,
en tant que demanderesses, dans des affaires liées à leur profession. Le 16
avril 1792[115],
"la dame Labbée, marchande fruitière demeurant
rue Saint-Victor"
réclame, avec trois autres personnes, à "la dame Victoire
Drolpeau, ci-devant cuisinière du sieur Bergerac l'ainé, député à l'Assemblée
nationale législative demeurant rue Saint-Victor (…) une somme de quarante-cinq
livres dix sols pour fournitures et marchandises" ; le texte indique que le député a bien versé à
sa cuisinière la totalité de la somme due aux fournisseurs, mais que celle-ci
en a retenu la partie mise en cause. Le 15 mai 1795-26 floréal an III, "la
citoyenne Françoise Beaudelaud, femme Guyard, marchande demeurant ordinairement
à Fontainebleau et de présent à Paris logée rue Victor chez Poncet" se présente avec
"la citoyenne Marie Bourdonnais, femme
Prudhomme, fruitière demeurant rue Victor" à propos d'une livraison d'œufs dont le nombre
fait l'objet d'une contestation : la première prétend en avoir livré 1800 alors
que la seconde déclare "avoir compté les œufs, de sept
heures à neuf heures du soir et n'en avoir trouvé que 1750" : la fruitière est
condamnée à payer la totalité affirmée sous serment par la demanderesse.
Créance impayée par un client, contestation entre un fournisseur et une
marchande, ce sont là des aspects de la banalité commerciale.
Des
problèmes de loyer impayé et d'expulsion conséquente expliquent la présence de 2 limonadières devant le juge de paix.
Mais ce sont des affaires commerciales qui mettent en scène les 2 marchandes de vin présentes ici. Le 8
septembre 1792[116], la
première, "la demoiselle Marie-Jeanne Mangenot, femme du
sieur Huline, marchande
de vin sur les ports demeurant rue Saint-Victor chez monsieur Moreau", réclame, à "Augustin
Cercueil journalier sur les ports, demeurant rue d'Arras n° 5 (…)
une somme de quinze livres huit sols pour
diverses consommations" ; la somme est ramenée à 7 livres 8sols que Cercueil devra payer
"à raison de vingt sols par semaine à compter de
ce jour". La
seconde est défenderesse, le 14 décembre 1791, en bureau de conciliation,
contre "le sieur Chretiennot, maître boulanger demeurant rue
Saint-Victor" qui accuse "le sieur Leblond, et
son épouse marchands de vin, demeurant rue Saint-Victor en face de celle du
Bon-Puits"
de lui devoir "une somme de trois cent cinquante-deux
livres un sol et six denier pour prix du pain vendu et livré depuis le dix juin
mille sept cent quatre-vingt neuf ". L'affaire se termine par une non conciliation, les
époux Leblond contestant une partie de leur dette. Ce qui est notable dans
cette affaire, c'est l'importante durée de la dette ainsi accumulée par ces
marchands de vin, puisqu'elle avoisine les trois ans et demi.
Enfin apparaissent dans ce secteur de l'alimentation une boulangère qui avait retenu une montre "en nantissement du prix du pain acheté" par une cliente, une cuisinière (déjà évoquée précédemment à propos des fruitières) ainsi qu'une marchande épicière, associée à la dame Labbée dans la même affaire. Dans ces trois cas, la profession des intervenantes est liée aux affaires qui les concernent devant le juge de paix.
2 sages femmes interviennent pour
attester, en justice gracieuse, de l'identité d'enfants qu'elles ont aidés à
mettre au monde. Par exemple, le 10 mars 1794-20 ventôse an II[117],
"la citoyenne Marie-Anne Renault, veuve de
Michel Domard, sage femme demeurant rue Saint-Victor n° 61 (…) nous
a déclaré qu'elle a connaissance d'avoir accouché la citoyenne veuve Neveu,
pour lors fille et nommée Anne Dupont, d'un enfant mâle dont la naissance a été
constatée le six mars mille sept cent soixante et quatorze sous le nom de Jean
Antoine enfant de parents inconnus, que le parrain a été le citoyen Jean
Antoine Quantinet la marraine la citoyenne Marie-Rose Gandillon ; qu'elle sait
également que la citoyenne Anne Dupont, actuellement veuve Neveu, a allaité,
nourri et élevé ledit enfant et que ledit enfant a été constamment appelé et
connu sous le nom de Jean-Antoine (…).
C'est
aussi dans l'exercice de son activité professionnelle qu'une garde d'enfant, "la citoyenne veuve
Myot, demeurant rue Saint-Victor, au Buisson Ardent" intervient le 27
octobre 1790[118] contre
"le citoyen Métreau, maître tonnelier demeurant
rue des Fossés-Saint-Victor n° 44 (..) pour une somme de neuf livres
seize sols, savoir huit livres pour avoir nourri, gardé et couché l'enfant du
sieur Métreau à compter du 24 septembre dernier jusqu'au 12 octobre présent
mois, plus celle d'une livre pour une purgation prise par ledit enfant et un
carreau cassé par lui". Ce texte fait bien apparaître les conditions et les aléas de ces
gardes d'enfant nécessitées notamment par l'absence de la mère (souvent morte
en couches).
Quant à la garde malade recensée dans la rue, elle n'est citée que parce qu'elle n'a pas payé ses derniers loyers et qu'elle est expulsée de sa chambre.
D'une
part, deux des trois gagne-denières[119]
sont, par défaut, condamnées à quitter leur chambre et à payer les arriérés de
loyer dus aux propriétaires. Le cas de la troisième est intéressant dans la
mesure où il témoigne assez précisément des relations établies entre une fille
mineure et ses employeurs. En effet, le 7 juin 1793[120],
comparaît "la citoyenne Marie Pinon, fille majeure gagne
denier, assistée de Marie Naudin sa mère, veuve de Barthélemy Pinon, demeurant
à Paris, rue Saint-Victor chez le citoyen Moreau, boulanger" ; elle réclame "au
citoyen et à la citoyenne Bourassin, marchands cordier, demeurant à Paris rue
Saint-Victor
(…) une somme de quarante cinq livres (…) pour
six mois de gages à raison de cinq sols par jour et en outre relativement à un
déshabillé qu'on lui a promis". Les défendeurs déclarent à l'audience "n'avoir
point pris chez eux la demanderesse à gage, mais seulement sous les conditions
de lui payer trois sols par chaque commission qu'elle ferait, somme qu'ils lui
ont payée et qu'en outre ils lui ont donné à titre d'humanité, sans y être
engagés, deux casaquins, un jupon et un bonnet rond et ils demandent à être
déchargés de la demande contre eux formée et ne lui devoir rien directement ni
indirectement".
Le juge donne raison aux défendeurs. Cette gagne-denière n'est donc pas, malgré
ses dires, considérée juridiquement comme une employée "à gage" mais
seulement comme une travailleuse occasionnelle qui est payée "à la
commission" ; elle se différencie par là-même des domestiques gagés ou des
travailleurs salariés à la journée ou au mois.
D'autre
part, 2 journalières sont présentes
dans le corpus. La première assiste, en tant que voisine et témoin, à
l'inventaire des biens d'un homme récemment décédé. La seconde fait partie de
la cohorte des petites gens obligés de quitter leur logement, faute de paiement
des loyers.
Enfin,
une ouvrière, dont la spécialité n'est
pas indiquée sur la minute, est, comme la journalière précédente, obligée de
quitter son logement.
Au total, la présence de ces femmes "prolétaires" dans les audiences du juge de paix souligne seulement la précarité de leur statut social et la dépendance extrême où elles se trouvent, notamment au niveau de leur hébergement.
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Une
polisseuse en lettres assiste, comme
témoin, à la mise sous tutelle d'une mineure dont le père vient de
décéder.
Le
20 janvier 1794[121],
"la citoyenne Bourguignon, voiturière demeurant rue Saint-Victor" est présente lors de l'inventaire effectué par
le juge de paix des effets laissés dans une chambre par le lieutenant de
gendarmerie décédé lors des événements de septembre 1792 et dont il a été fait
mention dans l'annexe
jointe ; elle en achète immédiatement une partie avec l'un de ses voisins,
présent lui aussi.
Une
salpêtrière, "la
dame veuve Canoger" est impliquée dans une affaire, déjà évoquée, d'accident de la
voie publique entre son charretier et un autre transporteur de la rue (voir
note 67).
De
même, a été précédemment présenté le cas de "la
dame Ménard"
et de son mari, tous deux organistes,
qui sont accusés d'avoir injurié deux de leurs voisins (voir note 95).
Une
enlumineuse, "la
citoyenne Myot"
est mise hors de cause, avec son mari lui-même marbrier, dans une affaire de
frais d'apprentissage indépendante de son métier.
Enfin,
le 30 décembre 1791[122],
"la demoiselle Marie Madeleine Thomelet, veuve
du sieur Pierre Courtois, maître perruquier à Paris, y demeurant rue
Saint-Victor au Cheval Blanc" intente un procès contre "le
sieur Larcher, aubergiste à Paris y demeurant rue Saint-Victor au Cheval Blanc" afin que ce dernier
"soit tenu de lui fournir une boutique et un
logement propre à la profession de
perruquier qu'elle exerce attendu l'impossibilité où il l'a mise, par les
réparations et la reconstruction qu'il fait faire, de se servir des lieux
qu'elle tient de lui à loyer, sinon et
faute de ce faire à e qu'elle soit autorisée par le même jugement à se procurer
lesdits boutique et logement aux frais et dépens dudit sieur Larcher, à ce que
ledit sieur Larcher soit en outre condamné à lui payer la somme de douze cents
livres pour frais de dommages intérêts pour
les torts à elle occasionnés par lesdites démolition et reconstruction,
faites non à cause de la vétusté des bâtiments, mais bien pour la commodité de
l'auberge du sieur Larcher". Ce texte, qui n'est qu'un extrait des attendus de la
sentence, est reproduit ici en raison de l'intérêt qu'il présente pour
l'évocation de la vie d'une femme artisan de ce moment de l'histoire : elle
poursuit le métier de son défunt mari, sans que soit précisé d'ailleurs si
elle-même l'exerçait avant son veuvage ; elle se trouve en conflit avec un
aubergiste qui se trouve être le propriétaire de son logement et de sa boutique
; elle n'hésite pas à réclamer des dommages et intérêts pour le tort causé par
ce dernier en raison de travaux immobiliers dont elle conteste même
l'opportunité et le bien fondé : son statut de veuve lui donne droit à ester en
justice, ce qu'elle ne manque pas de faire lorsque des éléments fondamentaux de
sa vie (son logement et le lieu d'exercice de son métier) sont en cause.
Au
total, ces femmes qualifiées professionnellement, dont il faut rappeler
qu'elles ne représentent que moins d'un sixième de la population féminine
recensée dans le corpus de la rue Saint-Victor, sont en général loin de
connaître une sécurité de vie assurée. Que ce soit pour leur logement ou pour
l'exercice de leur métier, elles sont souvent défenderesses et subissent les
mêmes peines que celles des hommes les moins socialement favorisés. Elles sont
souvent appelées à témoigner dans des affaires de justice gracieuse, notamment
lorsqu'il s'agit de mises en tutelle ou d'émancipations de mineurs.
La presque totalité des personnes pour lesquelles une autre qualification est retenue est composée de rentiers. Ils sont cités, dans les minutes, comme "bourgeois" ou, à partir de 1792, "citoyen de Paris". Ainsi la "dame veuve Boudier, demeurant rue Saint-Victor, numéro 131" est qualifiée comme "bourgeoise" le 20 mai 1791[123] et comme "citoyenne de Paris" le 13 février 1792[124]. De même, le "sieur Joachim Hallay, demeurant rue Saint-Victor, numéro 69", intervenant à 25 reprises, soit comme propriétaire demandeur, soit comme témoin, est cité comme "bourgeois de Paris" jusqu'au 20 avril 1792[125] et comme "citoyen de Paris" à partir du 14 mai de la même année [126]. Ces rentiers, au nombre de 14 (12 hommes et 2 femmes) interviennent dans l'immense majorité des cas en tant que demandeurs au civil ou comme témoins en justice gracieuse.
Intervenant en tant que témoins, essentiellement dans des affaires familiales, 10 hommes habitant dans cette rue Saint-Victor se présentent devant le juge de paix. Il s'agit de Charles Anfray (demeurant au n° 46), Jean-Pierre Bontemps (n° 83), Joseph Errard (dans la cour de la ci-devant abbaye Saint-Victor), Louis-François Flotte (adresse non précisée par un n° ou un lieudit), Claude-Guillaume Guillon (adresse non précisée), Joachim Hallay (n° 69), Jean-François Petit (n° 39), Guillaume Protais (n° 69), Jean Renault (n° 51), et Joseph Tirlet (n° 6).
Deux d'entre eux figurent dans la liste des membres du Comité de bienfaisance de la section en l'an III[127] : Jean-Pierre Bontemps et Jean-François Petit.
Aucun de ces rentiers ne témoigne en tant que membre de la famille ou comme parrain des individus pour lesquels l'acte est dressé : ils ne sont présents que comme "amis" sans que soit précisé par le greffier quel lien particulier les unit à ces individus. Les gens pour lesquels ils témoignent sont presque tous issus de la bourgeoisie commerçante ou de la bourgeoisie rentière, comme eux : on reste dans le même monde quand on vient témoigner pour une famille. Ils sont parfois choisis comme tuteurs par le conseil de famille réuni sous l'égide du juge de paix, ce qui témoigne encore des liens sociaux qui unissent les membres de cette catégorie sociale.
Dans un article reproduit sur le présent site[128], le problème récurrent dans toute l'activité du juge de paix parisien de la location immobilière et des expulsions auxquelles elle donne souvent lieu a été étudié.
Dans la rue Saint-Victor, les deux femmes et deux des hommes appartenant à cette bourgeoisie rentière interviennent comme demandeurs en tant que propriétaires des maisons dont ils louent tout ou partie à des locataires. À titre d'exemples, deux personnages seront présentés dans cette situation : la "dame Marie-Charlotte de la Groue" et "le sieur Joachim Hallay".
La dame de la Groue possède une maison où elle habite elle-même au numéro 30 "au coin de celle des Fossés Saint-Bernard". Elle est, par ailleurs, chargée de "la gestion et administration d'une maison sise rue Mouffetard, près les Hospitalières, appartenant aux demoiselles Oudry"[129]. Par exemple, le 14 octobre 1791, elle demande et obtient l'expulsion de "la maison dont elle est en partie propriétaire" du "sieur Jean-Baptiste Chaussat" qui lui doit "vingt-cinq livres six deniers pour termes échus, plus vingt-cinq livres pour terme à échoir à Noël prochain".
Entre le 7 mars 1791 et le 11 janvier 1793, Joachim Hallay intervient à treize reprises pour faire expulser de la maison dont il est propriétaire et qu'il habite au numéro 69 des locataires qui n'ont pas payé leurs loyers. Dans le même article signalé plus haut se trouvent un certain nombre de remarques concernant ce propriétaire, tant pour les conditions dans lesquelles il gère sa propriété que par rapport à la situation souvent précaire de la plupart de ses locataires.
Au total, ces rentiers représentent une catégorie socioéconomique évidemment aisée et dont la situation ne paraît pas souffrir particulièrement des aléas de la politique suivie au cours de cette première période révolutionnaire. Essentiellement demandeurs ou témoins en justice de paix, ils défendent avec succès leurs prérogatives sociales, en particuliers lorsqu'il s'agit de faire respecter leurs droits de propriétaires.
En conclusion, cette étude de la rue Saint-Victor passée au trébuchet de la justice de paix peut apporter un éclairage assez vivant à la vie d'un quartier populeux et populaire de Paris à la fin du 18èmes siècle.
Le petit peuple s'y trouve particulièrement dense dans les logements, souvent loués de façon précaire aux différents étages des maisons.
Les professions rencontrées sont extrêmement nombreuses et diverses, les boutiques des rez-de-chaussée étant souvent le lieu d'échanges de marchandises et … de disputes lorsqu'il s'agit des lieux de convivialité que sont les auberges et les débits des marchands de vin. Ces professions sont d'ailleurs géographiquement très mêlées et mélangées, peu de lieux n'apparaissant comme spécifique à l'une ou l'autre d'entre elles. Et les rapports sociaux en leur sein se retrouvent parfois mis en lumière, chez le juge de paix, qui pourtant n'a aucune compétence en matière de litiges professionnels, mais qui reçoit, indirectement les échos des conflits salariaux qui peuvent s'y rencontrer.
La rue elle-même est très animée tant pas l'imbrication des commerces qui s'y trouvent que par les passages ininterrompus des habitants dont les rapports ne brillent pas toujours par l'aménité la plus pacifique. Et certaines professions, comme celle des voituriers et de leurs charretiers, sont cause d'accidents dont certains trouvent écho devant le juge de paix.
Annexe - Archives de Paris. D12U1-7 Avis de
parents – 1794 Ce jourd'hui decadi dix
pluviôse de l'an deux de la République française une et indivisible, par
devant nous Jean-Baptiste Louis Lessore, juge de paix de la section des
Sans-culottes, assisté du citoyen Gilbert Imbert notre secrétaire greffier en
notre demeure, rue des Fossés-Saint-Bernard n° 37, sont comparus les parents,
alliés et amis de défunt Christophe François Coquard, lieutenant de
gendarmerie, lesdits parents, alliés et amis ci-après qualifiés et domiciliés
ainsi qu'il suit : - la citoyenne Angélique
Charlotte Chauvin, épouse et actuellement veuve dudit Christophe François
Coquard, demeurant rue Saint-Victor, numéro soixante dix-neuf ; - le citoyen Louis Georges
Coquard, marchand de vin demeurant Cour du Palais de Justice, cousin germain
dudit Christophe François Coquard ; - le citoyen René Belenfant,
limonadier rue Saint-Victor n° 79, ami dudit Coquard ; - le citoyen Edmé René
Jean-Baptiste Voisin, couvreur en bâtiment, demeurant rue et enclos
Saint-Victor, ami ; - le citoyen Edmé Pelée,
négociant, demeurant rue Saint-Victor n° 79, ami dudit Coquard ; - le citoyen Charles François
Lenfant, traiteur demeurant rue Saint-Victor numéro 79, ami dudit Coquard ; - le citoyen François Joseph
Pasquier, demeurant rue de Bercy, cousin germain ; - le citoyen Antoine Pasquel,
limonadier demeurant rue Saint-Victor, ami du défunt citoyen Coquard. Et de suite nous a été exposé
par la citoyenne Angélique Charlotte Chauvin, épouse dudit citoyen Coquard et
actuellement sa veuve, que ledit défunt son mari étant péri dans le cours des
événements qui se sont passés pendant les journées des deux, trois et quatre
septembre mille sept cent quatre-vingt douze, et sa mort n'ayant pu être
constatée alors en la manière accoutumée, il n'existe sur les registres des
décès de la commune de Paris aucune mention, aucun acte de son décès ; que
cependant il est important pour elle et pour sa famille de faire consigner
sur les registres le décès dudit Coquard, qu'en conséquence, sachant que son
mari est péri sur l'arrondissement de la section des Quatre Nations, elle
s'est fait délivrer un extrait du procès-verbal d'inventaire fait par le
commissaire de la section dite alors des Quatre Nations des effets provenant
des personnes mortes dans lesdits jours sur l'arrondissement de ladite
section ; que, d'après cet extrait où sont contenus des effets reconnus lui
appartenir, il n'y a plus eu de doute sur son décès ; qu'à l'appui de cet
extrait il a été fait un acte de notoriété devant Gilbert de Lisle qui en a gardé
minute et son confrère, notaires à Paris, le treize octobre dernier (vieux
style), dûment enregistré par Gaumé le même jour ; que, pour constater de
plus en plus le décès dudit Coquard son mari et mettre les officiers publics
chargés d'inscrire les décès dans le cas de faire moins de difficulté, elle a
cru devoir assembler par devant nous les parents, alliés et amis dudit défunt
son mari, à l'effet de par nous recevoir leurs déclarations et leur avis sur
la certitude du décès dudit Coquard et la nécessité de faire inscrire ledit
décès sur les registres publics consacrés à cet usage ; et a ladite citoyenne
veuve Coquard signé en cet endroit de notre minute. 1 signature : A. C. Chauvin Et lesdits parents, alliés et
amis dudit Christophe François Coquard ayant à l'instant prêté serment de
dire vérité sur les faits qui constatent le décès dudit Coquard et de donner,
dans leur âme et conscience, leur avis sur la nécessité de faire inscrire
ledit décès sur les registres publics destinés à cet effet, ils nous ont
déclaré qu'ils avaient tous parfaitement connu le citoyen Christophe François
Coquard, lieutenant de la gendarmerie nationale ; qu'ils savent qu'il avait
épousé la citoyenne Angélique Charlotte Chauvin aujourd'hui sa veuve ; qu'ils
ont connaissance qu'étant sorti de chez lui le premier septembre mille sept
cent quatre-vingt douze, il n'y est point rentré et n'est point reparu depuis
ce moment ; qu'ayant fait toutes les informations et les recherches
possibles, on a retrouvé au comité civil de la section des Quatre nations,
parmi les effets provenant des personnes mortes dans les journées des deux,
trois et quatre septembre mille sept cent quatre-vingt douze, différents
effets qu'avait ledit Coquard lors de sa sortie de chez lui, et notamment le
portrait de la citoyenne son épouse, un portefeuille où étaient différents
papiers qui, suivant l'extrait, annonçaient que ledit citoyen Coquard en
était propriétaire et différents autres effets ; qu'ils ont su qu'il était
péri le deux septembre de ladite année mille sept cent quatre-vingt douze, et
que notamment il a été déclaré au citoyen Louis Georges Coquard par le
citoyen Didier que plusieurs personnes, et entre autres des gendarmes de sa
compagnie avaient rapporté qu'il avait été tué sous leurs yeux ledit jour
deux septembre ; que, d'après ces faits et la connaissance personnelle qu'ils
en ont, ils sont unanimement d'avis que le décès dudit citoyen Christophe
François Coquard, de son vivant lieutenant de la gendarmerie nationale à
Paris y demeurant rue Saint-Victor numéro soixante dix neuf, et époux de
ladite citoyenne Angélique Charlotte Chauvin actuellement sa veuve, soit
inscrit sur le registre des décès des citoyens de la commune de Paris à la
date du deux septembre mille sept cent quatre-vingt douze par l'officier
public préposé à cet effet. Desquels comparutions, dires,
déclarations, prestations de serment et avis nous avons donné acte aux
susnommés. Et, pour faire inscrire le décès dudit citoyen Christophe François
Coquard sur les registres des décès des citoyens de la commune de Paris,
renvoyons les parties à se pourvoir par devant qui et de la manière qu'il
appartiendra. Et de tout ce que dessus nous avons dressé le présent
procès-verbal en présence des susnommés qui, après qu'il leur a été lu, l'ont
signé avec nous et le citoyen Imbert notre secrétaire greffier lesdits jour
et an. 11 signatures : A.C. Chauvin
– L.G. Coquard – R. Belenfant – E.R.J.B. Voisin – A. Fasquel – E. Pelée – Lenfant
– Pasquier – Pasquel – Imbert – Lessore. |