G.-J.B.
Target (1733-1807) |
Quand on élit un juge de paix en Seine-et-Marne Dans le canton de Boissise-la-Bertrand, de 1790 à 1795 |
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Introduction : un canton briard en 1791 |
1 - En 1790, un vote massif pour l'élection d'Etienne Cartault comme juge de paix du canton |
2 - En 1792, neuf voix de majorité, pour une réélection de justesse |
3 - En 1795, la chute assumée dans la dignité |
Conclusion : démocratie et Révolution |
C'est en novembre 1790 qu'a lieu la première élection d'un juge de paix [1] dans ce canton de Seine-et-Marne, plus connu de l'historiographie par l'un de ses prêtres "patriotes" [2] que par ses avatars électoraux. La chronique des trois moments de la vie citoyenne qui se succédèrent, de 1790 à l'an IV, dans cette zone de la proche campagne briarde de la région parisienne [3], dépassant la seule description de l'événement, peut sans doute permettre au chercheur de mieux comprendre les enjeux qu'a pu recouvrir cette nouvelle forme de la démocratie en acte. Elle peut aussi permettre de mieux saisir le profil des personnages et des acteurs de cette pièce qui tendait à répondre aux trois critères voulus par le législateur : la proximité de l'électeur et de l'élu ; le caractère indiscutable de la mission du juge de paix ; la libre disposition de ses jugements que doit conférer à celui-ci le vote démocratique ainsi accompli.
Ce
canton, défini dans le cadre de la grande réorganisation territoriale décidée
par l'Assemblée constituante à la fin de l'année 1789 et au début de l'année
1790 est, comme le rappelle le procès-verbal de la première assemblée primaire
du canton, le dimanche 21 novembre 1790, "composé des paroisses suivantes :
Boissettes, Boissise-la-Bertrand, Boissise-le-Roy, Cesson, Dammarie, Le Mée,
Nandy,
Le
présent travail, à l'occasion de la présentation des trois élections du juge de
paix qui ont eu lieu dans ce canton de la périphérie parisienne, de 1790 à
C'est le dimanche 21 novembre que cette assemblée primaire, composée des citoyens actifs et éligibles du canton de Vert-Saint-Denis [8]? est rassemblée en l'église Saint-Nicolas à Melun, à l'effet de procéder à la nomination d'un juge de paix et des prud'hommes assesseurs du juge de paix.
Deux remarques s'imposent à la lecture de ce premier élément du procès-verbal.
D'une part, la dénomination du canton ne correspond pas alors à celle qui sera officialisée, le lendemain [9], le nom de Vert-Saint-Denis, l'une des principales paroisses, ayant été initialement retenu par les auteurs de la carte administrative des cantons du district de Melun. Les critères de ce choix premier n'apparaissent pas dans la documentation consultée à cet effet.
D'autre part, ce n'est pas sur le territoire même du canton qu'est convoquée cette première assemblée, mais dans une église du chef-lieu de district, Saint-Nicolas de Melun [10]. Les églises d'un certain nombre des paroisses du canton auraient parfaitement pu contenir l'ensemble du corps électoral ainsi constitué. Y eut-il, de la part des administrateurs responsables, volonté de "rapprocher" au sein même de la ville principale, ce corps électoral nouveau et lui donner moins d'autonomie ? Eurent-ils la volonté d'éviter les éventuelles protestations de compétences que le choix d'une des paroisses parmi les autres n'eut pas manqué de susciter à leurs yeux ? Ou, simplement, utilisa-t-on un espace plus traditionnellement connu comme lieu de rassemblement électoral, comme il le fut lors des élections corporatives aux États généraux de mars 1789 ? Rien n'indique que l'une de ces hypothèses soit la bonne et seul demeure le fait que la convocation de l'assemblée a bien eu comme cadre cet édifice melunais.
L'organisation du scrutin a été clairement définie par le "Décret sur la constitution des assemblées primaires et des assemblées administratives du 22 décembre 1789" [11], et parfaitement accomplie par les participants à cette assemblée primaire du canton les 21 et 22 novembre 1790. ainsi, dès l’ouverture de la séance, Duveau, âgé de soixante et dix ans, citoyen actif et éligible de Pouilly-le-Fort, est nommé président d’âge, Jean Coutile de Vaumorin, ancien avocat, commandant de la garde nationale de Dammarie , Farcy et Vosves, secrétaire, Barthélemy Cochet, maire de Savigny-le-Temple, Sylvain-Raphaël Chartrelle, citoyen actif et éligible de Boissettes, Louis-françois Juneux, citoyen actif et éligible du Mée, nommés scrutateurs. Le procès-verbal n’indique pas dans quelles conditions ces "nominations" s'effectuent ; mais le texte du décret de novembre 1789 n'indiquait pas non plus d'autre critère que celui de l'âge des participants.
L'opération
suivante consiste à élire sans délai le bureau définitif de l'assemblée
primaire. Le procès-verbal mentionne que cette dernière est composée de 256 votants [12] qui participent individuellement et successivement à
l'élection du président. Il indique que Marillier, citoyen actif et éligible
de Boissise-la-Bertrand obtient 162 suffrages et est proclamé élu [13]. Le même document constate l'absence du maire, des officiers
municipaux et des citoyens actifs de
Il n'y a plus que 119 votants présents dans l'église. Cette chute brutale du nombre des électeurs présents est sans doute liée au fait que l'enjeu de l'élection du reste du bureau leur semble moindre que celui qui a précédé. Peut-être aussi que l'ardeur citoyenne s'amoindrit au fil de la journée domincale … Comme pour l'élection du président, celle des quatre membres du bureau qui doivent assister celui-ci s'effectue par un vote nominal de chacun des participants. C'est l'un des scrutateurs provisoires, Coutile de Vaumorin qui est élu par 66 suffrages au poste de secrétaire. Immédiatement après, le président et le secrétaire prêtent le serment qui est prescrit par les décrets [15] entre les mains de l'assemblée et sur le champ l'assemblée a prêté le semblable serment entre les mains de monsieur le président. Les formes les plus précises prévues par la loi sont ainsi respectées et, pour éviter toute contestation ultérieure, le procès-verbal mentionne tout ce qui a trait à la bonne organisation du scrutin.
L'élection des trois scrutateurs est, dans les mêmes conditions, aussitôt réalisée et intronise à la pluralité des voix Louis-François Juneux [16] de la paroisse du Mée, Nicolas Gauthier, curé de Cesson et Nicolas-Charles-Jacques David, fermier de Saint-Leu [17]. Trois scrutateurs suppléants sont ensuite élus, toujours à la pluralité des voix : Sylvain-Raphaël Chartrelle de Boissettes [18], AlexisDesforges de Ponthierry et Pierre Desgranges de Saint-Port [19]. Sur les douze paroisses du canton, le bureau de huit membres est donc composé de citoyens issus de sept communes, ce qui témoigne d'une grande diversité, voulue ou non, dans le choix des votants. Et il n'est pas sans intérêt de noter que le bureau provisoire s'est presque entièrement trouvé reconduit dans le bureau définitif, la notoriété des élus expliquant vraisemblablement cette permanence dans le choix des présents.
Scrutateurs et scrutateurs suppléants prêtent alors serment entre les mains du président qui déclare la séance close à cinq heures et demie du soir et donne rendez-vous aux citoyens actifs pour le lendemain matin.
Le lundi 22 novembre, à dix heures du matin, dans la même église, la séance est introduite par le président qui a fait un discours et lecture des décrets et instructions concernant la nomination, qualités et fonctions du juge de paix et prud'hommes assesseurs du juge de paix. L'analphabétisme qui caractérise la majorité des citoyens présents justifie cette précaution orale et oratoire et témoigne du sérieux avec lequel est conduite la séance dans son principal moment : celui de l'élection, pour la première fois, de celui qui va devoir organiser le règlement des conflits dans son bureau de paix et les juger, s'il le faut dans son audience.
Le procès-verbal indique la présence de 278 citoyens en droit de voter, ce qui témoigne du vif intérêt des électeurs du canton . Il note aussi : Avant l'ouverture, monsieur le président a consulté l'assemblée pour savoir si elle voulait décider où serait le chef lieu du canton. Et, après que la question a été discutée et que messieurs Chalumeau, le curé de Cesson, Garnot, Fragnet, Cartault, Coutile de Vaumorin, Segault ont été entendus, l'assemblée décide à une très grande majorité que le chef lieu serait à Boissise-la-Bertrand. Et les assemblées primaires alterneraient et se tiendraient dans toutes les paroisses du canton, et qu'il serait tiré au sort pour savoir où se tiendrait la première assemblée primaire : à cet effet, les douze maires des douze municipalités composant ledit canton tireraient et seraient appelés par ordre alphabétique. Et les douze premiers magistrats défilent ainsi et tirent au sort l'ordre dans lequel leur paroisse sera appelée à devenir le siège de l'assemblée primaire cantonale [20].
Au procès-verbal est ensuite inscrite une intervention du président Marillier qui propose la nomination des assesseurs par une liste de plusieurs citoyens éligibles mises sur le bureau, lesquels citoyens éligibles auraient été indiqués par les citoyens actifs de la paroisses aux officiers municipaux. A cette proposition un des membres de l'assemblée, le sieur Chalumeau, oppose une autre solution qui consiste à laisser nommer les assesseurs de chaque municipalité par tous les citoyens actifs de cette municipalité. À l'évidence un même objectif est visé par les deux intervenants : éviter un allongement excessif de la durée du scrutin qui risquerait, si le vote devait être organisé en séance plénière, d'entraîner beaucoup de confusion et de disputes, les citoyens ignorant le qualités et les défauts des individus des autres paroisses. Les deux propositions sont laissées en attente et l'on passe à l'élection majeure, celle du juge de paix. Mais d'abord, le serment est pris par l'assemblée : la forme réglementaire est encore une fois respectée, toujours dans le souci du sérieux qui doit être attaché à cette importante opération.
Le nombre des votants constatés par le bureau est de 275.
Après dépouillement des votes par les scrutateurs, le président donne lecture des résultats : Jacques-Claude-Florimond Segrétier (113 voix, soit 41 %) ; Étienne Cartault (95, soit 34,5 %) ; Nicolas Pinard (37) ; Nicolas-Robert Ségault (13) ; Jean Coutile de Vaumorin (10) ; Mrs. Morel et Desgranges (2 voix chacun) ; Mrs. Gilbert, Hermant, Delaplace, Berthole, Gondoin et Chartrelle (1 voix chacun). Le président déclare qu’il n’y a, pour aucun des citoyens ayant obtenus de suffrages, une pluralité absolue des voix et qu’il convient de procéder à un second vote.
Au cours de ce second tour de scrutin (toujours individuel, chaque bulletin étant déposé successivement dans l’urne placée devant le président), les scrutateurs constatent que 280 bulletins sont comptabilisés soit un de plus que celui des votants. Le citoyen Sylvain Chartrelle déclare avoir mis deux fois le nom de monsieur Cartault dans l’urne. Certains électeurs réclament l’annulation du vote. À la suite d’une discussion dont le procès-verbal ne donne pas les détails, l’assemblée que le dépouillement doit avoir lieu et que le Comité de constitution tranchera. 275 bulletins sont déclarés valides et les scrutateurs constatent que monsieur Étienne Cartault a obtenu 178 voix (soit les deux tiers des suffrages) ce qui fait une majorité de quarante voix. Les résultats des autres citoyens ayant obtenu des voix ne sont pas inscrits au procès-verbal et le président proclame Étienne Cartault élu comme juge de paix du canton. Rien n'indique dans quelles conditions certains citoyens ont modifié leur vote au point que le second concurrent du premier tour devient le brillant vainqueur du deuxième.
Suit alors une scène digne du climat d'émotion et de ferveur qui règne sur bon nombre des manifestations électorales de moment révolutionnaire. Monsieur Cartault déclare qu'il ne sera installé qu'après la décision soit du département, soit du Comité de constitution ; néanmoins qu'il acceptait provisoirement. Ensuite, monsieur de Vauxblanc [21] a pris la parole et a dit : "Les sentiments délicats exprimés par M. Cartault prouvent combien il est digne de vos suffrages. Dans mon opinion, ce scrutin est fort bon parce que Mr. Cartault a obtenu quarante voix de plus que la majorité absolue. Encore un mot, Messieurs, il n'y a jamais eu de plus belle institution que celle des juges de paix. L'Assemblée nationale l'a décrétée pour notre bonheur. C'est le sentiment qui a guidé le roi quand il a sanctionné ce décret. Je vous invite à vous écrier avec moi : Vive l'Assemblée nationale ! Vive le roi !. Et la plus grande partie ont aussi crié : Vive notre nouveau juge de paix !".
Décision est prise de faire nommer les assesseurs par les citoyens actifs dans chaque paroisse, l'assemblée générale convoquée le dimanche suivant devant ratifier ces nominations.
44 signatures [22] suivent celles de Chalumeau vice-président du district. Il n'est pas possible de savoir si ces paraphes représentent la totalité des citoyens sachant signer (ce qui ferait une proportion de 16 %) ou si la longueur de la séance peut expliquer que certains d'entre eux soient partis avant la cérémonie des signatures …
Le lendemain même de cette élection, le sieur Nicolas Robert Segault, l'un des concurrents malheureux du scrutin, dépose une plainte auprès des instances du district de Melun, plainte dont le texte se trouve aux Archives départementales de Seine-et-Marne [23]. Il y dénonce à la fois les irrégularités de procédure (des habitants du Mée et de Boissise-le-Roi ont voté bien que n'éant pas citoyens actifs) et les conditions illégales dans lesquelles s'est déroulé le scrutin (le nombre des bulletins trouvés dans l'une était supérieure à celui des votants ; le dépouillement a été perturbé par des participants armés d'épées et de gourdins). Le résultat de cette démarche est très rapidement obtenu, comme l'indique la chronologie des faits [24]. L'assemblée du conseil général du département, tenue à Melun le samedi 4 décembre 1790, et après lecture du procès-verbal de l'assemblée primaire des 21 et 22 novembre, de la protestation du S. Segault du Mée du 23 novembre et de l'avis du district de Melun du 1er décembre suivant (…) confirme (…) l'élection du Sr. Cartault à la place de juge de paix, (…) et arrête qu'il lui sera délivré une expédition du procès-verbal de sa nomination. Le conseil général du département, pour justifier cette décision sans appel, se fonde exclusivement, comme l'avait fait le district, sur le fait qu'aucune réclamation formelle n'a été faite au cours de l'assemblée primaire. Et l'incident est définitivement clos sans intervention du Comité de constitution évoqué plus haut.
L'importance de cette première élection d'un juge de paix dans ce canton est particulièrement lisible à travers trois remarques qu'inspire cette chronique. D'une part, à l'exception de la séance du dimanche après-midi consacrée à la mise en place des adjoints du président, manifestement jugée sans enjeu essentiel, les opérations électorales ont été très bien fréquentées plus de 45 % du corps électoral assiste aux trois principales séances), compte tenu de la distance qu'ont dû parcourir certains électeurs et de la rigueur du climat à cette époque de l'année. D'autre part, l'absence légale de candidats déclarés n'empêche pas les électeurs de porter leurs suffrages sur des personnes qu'ils jugent susceptibles, par leur situation sociale, de remplir cette fonction dont le législateur a voulu, par son caractère électif, qu'elle soit le fait non de spécialistes du droit mais de notabilités reconnues pour leur bon sens et leur humanité. Enfin, le fait que deux tours soient nécessaires pour départager les futurs élus et les allusions formulées par Ségault à la "chaleur" qui a présidé au dépouillement témoigne de la grande ouverture et de l'importance qui caractérise cette première élection. Et il est bien difficile de soutenir que son résultat était inscrit d'avance …
En application de ce décret, l'assemblée primaire du canton de Boissise-la-Bertrand est convoquée le dimanche 8 décembre 1792 en la paroisse de Saint-Port, lieu déterminé pour ladite assemblée primaire suivant l'alternat convenu et réglé dans le procès-verbal de l'assemblée générale de l'élection du juge de paix tenue en la ville de Melun le 22 novembre 1791. La rotation décidée pour les lieux d'exercice des assemblées primaires est donc bien observée comme est maintenue encore l'appellation "chrétienne" du lieu du vote : le décret concernant la généralisation de l'appellation "commune" pour les circonscriptions administratives de base n'est voté qu'en 1793 [29] et la paroisse conserve son nom de Saint-Port [30].
Le bureau élu pour cette assemblée primaire est constitué de son président, Francois Vallot, le plus ancien d'âge de tous les citoyens, d'un secrétaire, Pierre François Ract, d'un vice secrétaire, Jacques François Lampy, de trois scrutateurs, Pierre Desgranges, Thomas Chapus et Pierre Vrillaux, ainsi que d'un "vérificateur", Jean Lefort qui, par lettre s'excuse de ne pouvoir être présent. Aucun des personnages signalés en 1790 comme faisant partie du bureau ne se trouve dans cette liste.
Le
procès-verbal indique que les citoyens se sont retirés du
bureau et, étant entrés dans le bas de la nef de l'église, se sont ensuite
approchés suivant l'appel qui a été fait de chaque municipalité et ont donné
leurs suffrages par la voix du scrutin. Le nombre des "scrutins"
dépouillés est de 222 et donne le résultat suivant : le citoyen Cartault obtient
104 voix, suivi du citoyen Longuet (93), du citoyen Loizeau, maire de
Saint-Fargeau, (17), du citoyen Desgranges (3) et du citoyen
Loudié (2), soit un total de 219 suffrages exprimés. Bien que la majorité
absolue (111) ne soit acquise par aucun des candidats, l'assemblée a décidé que le citoyen
Cartault réunissait pour lui la majorité des suffrages et qu'en conséquence elle
le déclarait juge de paix pour le canton de Boissise
Mais cet "unaninisme" est jugée illégal par le district de Melun et une nouvelle assemblée primaire est convoquée, toujours en l'église de Saint-Port, pour le 16 septembre. Le corps électoral présent ne compte plus alors que 97 votants qui réélisent, à l'unanimité, le bureau élu huit jours plus tôt, à l'exception du citoyen Ract, absent, remplacé par Lampy. Les résultats de ce vote sont les suivants : le citoyen Boyez, 84 voix ; le citoyen Lampy, 9 ; le citoyen Jeuneux, 2 et le citoyen Boëte, 1. Le document comporte 32 signatures. Ce vote confirme l'accalamation "illégale" du 8 décembre, et cette fois-ci, le suffrage est validé par le district.
Le
23 décembre a lieu une véritable "intronisation" dans le cadre de la
municipalité de Boissettes où réside Étienne Cartault, réélu dans les conditions
décrites plus haut. Un extrait des délibérations du conseil général de la
commune est, en effet, joint à la liasse concernant cette élection : Ce dimanche 23 décembre, première
année de
De la part de cette municipalité comme de celle des impétrants, il y a, dans cette cérémonie officielle, volonté manifeste de solenniser encore plus l'élection du juge de paix du canton et de donner à cet événement l'authentification la plus éclatante de la part des autorités constituées. Et cette toute petite paroisse [31] témoigne ainsi de sa fierté d'abriter en ses murs et le principal magistrat judiciaire du canton et le siège des audiences [32]…
Cette seconde élection, bien que différente dans sa forme de celle de 1790, en garde pour l'essentiel les caractéristiques principales. Le nombre des électeurs présents, est plus faible que lors du vote des 21 et 22 novembre 1790 mais demeure important. Les résultats du vote témoignent de la véritable ouverture de cette élection, les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages n'étant départagés que par une faible différence, aucun d'entre eux ne pouvant apparaître comme élu d'avance. Ces résultats semblent avoir été obtenus sinon avec l'acquiescement de tous les participants, au moins avec leur accord final, au point que le greffier du juge, déjà en fonction dans la précédente mandature, est élu à la suite d'une proposition "unanime" et sans vote formel (ce qui entraîne, comme il a été dit, son annulation par le district pour vice de forme). Et l'autorité de la fonction sort renforcée de cette manifestation démocratique.
L'assemblée primaire du canton de Boissise-la-Bertrand, convoquée d'après les termes de l'acte constitutionnel pour procéder à la nomination d'un juge de paix, de quatre assesseurs pas chaque commune et enfin du président de l'administration municipale du canton se réunit le 1er décembre 1795-10 brumaire an IV. L'élection du bureau [37] ne rassemble que 56 votants, l'immense majorité des électeurs ayant, cette fois-ci décidé de ne pas participer au scrutin.
Le procès-verbal indique que les citoyens Marillier, Gayot, Longuet, Cartault et V. de Gamory ayant obtenu le plus grand nombre de voix (…), savoir le citoyen Marillier, 53 voix est proclamé président, le citoyen Gayot, 39 voix, secrétaire.
Marillier,
déjà président lors de la premier élection du juge de paix en 1790, annonce que
selon
L’élection du juge de paix a lieu en deux temps. D’abord, 88 électeurs participent à un premier tour : comme il n’y a point eu de majorité absolue, le scrutin a recommencé. Puis, pour le second tour, le procès-verbal indique une participation de 64 citoyens votants. Le résultat définitif est solennellement annoncé par le président de l’assemblée : la majorité s’étant réunie sur le citoyen Claude Éléonore Guyot, ayant eu 39 voix (soit 60,9 % des suffrages), il a été proclamé juge de paix du canton de Boissise-la-Bertrand. Le document ne donne pas d'information sur le scores obtenus par les autres personnalités ayant obtenu des voix.
Dès le lendemain, 2 décembre 1795-11 brumaire an IV, Cartault transmet tous ses pouvoirs à son successeur [42]. Comme le manifeste le texte cité en annexe, les conditions dans lesquelles lequel s'effectue cette passation témoigne du climat de sérénité qui préside à la conclusion de cette confrontation et de l'esprit démocratique dont font preuve en l'occurrence les acteurs de cette pièce électorale. Et cinq jours après cette "cérémonie", le nouveau juge de paix préside, en notre demeure à Croix-Fontaine [43], sa première audience consacrée à l'émancipation de quatre enfants mineurs orphelins de mère et dont le père est gravement malade. Comme son prédécesseur, c'est une pièce de son domicile personnel qui lui sert de salle d'audience. Et aucune solution de continuité n'apparaît dans le fonctionnement de cette justice de proximité.
En guise de conclusion provisoire …
La
description des opérations électorales de ces trois scrutins successifs permet
de préciser les termes de la problématique initiale.
D'une
part, la participation des citoyens a sensiblement évolué au cours de ces cinq
années. À l'évident empressement d'une part notable du corps électoral au cours
du scrutin de 1790 s'oppose la désaffection non moins réelle constatée en 1795.
La fuite de l'électorat est-elle due à une lassitude civique déjà manifestée
lors du vote référendaire de l'été 1795 ? Cet exemple confirmerait localement ce
qui est observé dans nombre d'élections locales ou nationales pour d'autres
objets, comme en témoignent un certain nombre d'études récentes [44]. L'enjeu de cette élection est-il moindre qu'au début de
D’autre
part, la liste des personnes qui jouent un rôle moteur dans ces assemblées
primaires fait apparaître quelques éléments d’analyse intéressants. En effet, la
liste des membres du bureau des élections qui ont lieu en décembre 1792 comme
celle des citoyens ayant obtenu des voix pour l'élection du juge de paix ne
mentionnent aucun des membres qui constituaient le bureau de la première
élection, à l'exception du maire de Seine-Port, Pierre Desgranges. Ce dernier a
alors perdu son mandat de maire de Seine-Port au profit de Pierre Longuet dont
le score est très proche de celui de
Cartault lors du scrutin [47]. Ici encore, à défaut
d'autres documents plus précis, les minutes de la justice de paix apportent un
certain nombre de renseignements sur les membres du bureau et les "lauréats" de
l'élection. Tous sont des personnalités locales qui, au titre de leur profession
ou de leurs fonctions municipales, jouissent d'une incontestable notoriété. Le
secrétaire, Pierre-François Ract, comme le citoyen Loudié (qui a obtenu 2 voix)
n’ont jamais à faire avec la justice de paix. Mais tous les autres figurent, à
un titre ou à un autre dans les minutes étudiées jusqu’en décembre 1795.
Évidemment, Étienne Cartault, propriétaire à Boissettes, apparaît en tête de
tous les actes sous la dénomination de "juge de paix du canton de
Boissise-la-Bertrand". Le
président de la séance, François Vallot, tailleur d’habits, est le procureur de
la commune de Savigny-le-Temple en août 1791 [48]. Le vice
secrétaire, Jacques Charles Lampy, est jardinier à Seine-Port [49]. Pierre Desgranges , entrepreneur de bâtiment à Seine-Port,
en est le maire [50] et son décès intervient, immédiatement après
ces élections, dans la nuit du 26 au 27 décembre 1792 [51]. Le
vérificateur Jean Lefort est maçon à Boissettes et il paraît très souvent comme
assesseur du juge de paix. Pierre Longuet, premier concurrent malheureux du juge
Cartault, est un vigneron aisé qui occupe la place de maire de Seine-Port en
juin 1794 [52]. Jacques Loizeau est entrepreneur de bâtiment à
Saint-Fargeau et a été élu maire de la commune presque sans solution de
continuité entre janvier 1792 [53] et février 1795 [54]. Lors de l’élection du greffier de la justice de paix,
l’heureux élu, occupant déjà cette fonction
dès 1790 , est le maître d’école de
Boissettes [55] et, parmi ses concurrents non déjà cités, le
citoyen Jeuneux est capitaine de la garde nationale de Dammarie-les-Lys [56] en 1793. Tous savent signer.
Enfin, dans ce canton de Boissise-la-Bertrand, l'abstention, déjà perçue lors du vote référendaire sur la Constitution de l'an III, a pu entraîner l'échec subi par le juge de paix en place depuis 1790. Il est néanmoins important de nuancer cette conclusion dans la mesure où jamais Étienne Cartault n'a été élu sans concurrence réelle ni même sans difficulté. Par ailleurs, il serait nécessaire de revisiter les travaux consacrés aux élections de juges de paix pendant la période électorale qui s'étend de la monarchie constitutionnelle jusqu'au début du Directoire [57] pour tenter de dresser une tableau comparatif, dans le temps et dans l'espace, qui puisse apporter aux historiens et aux politiques une vue moins parcellaire que celle dont ils disposent actuellement.
NOTES